« L'étranger nous oblige à nous penser et nous faire autres nous-mêmes. » (
Julia Kristeva)
Étrange histoire
L'histoire de Budai, linguiste, qui se rend à Helsinki pour un congrès. A la suite d'un évènement inconnu il débarque dans un pays, une ville dont il ne connaît ni le nom, ni l'emplacement sur une carte, ni la langue. Dé-paysé. le sens a disparu, le cauchemar est absolu.
Étrange espace
Il ne peut rien déduire d'une architecture qui mêle les temps et les lieux, les références mauresques, romaines, médiévales ou chinoises.
Ce lieu, n'est pas celui d'une altérité radicale, incompréhensible par manque de repères, mais celui d'un trop-plein de références, d'une forme de fusion qui combine ce que le monde sépare.
La ville inconnue est surpeuplée ; c'est une ville de foules, un flot en mouvement qui interdit toute tentative de station prolongée en un lieu, donc de rencontre.
C'est « une vase visqueuse qui l'environne, alors qu'il n'y a pas une seule branche à attraper, un seul point fixe où poser les pieds »
Étranges usages
Parfois une atmosphère festive l'attire vers les autres ; certes il est « un peu extérieur, » mais « il se sent appartenir à cette foule, ou plutôt il aimerait appartenir à n'importe quoi ».
Budaï se mêlera un jour à une fête (nationale ?), une foule carnavalesque. Mais une foule vite réprimée quand elle bascule dans la révolte face à une police armée chargée du maintien de l'ordre. Et cela sans savoir s'il s'agit d'une véritable révolte ou d'un rituel de printemps.
Budaï ne veut pas s'habituer et pourtant il prend ses marques, s'organise un territoire, réseau de lieux, tissu d'habitudes, qui lui permettent de tenir debout. Ainsi Il récupère « sa clef »à l'hôtel, comme un rituel.
Et même, dans la dernière partie du roman, lorsqu'il est chassé de l'hôtel, Budaï, après un temps d'errance, va reconstruire un espace autour d'un point fixe ; ce ne sera pas la chambre mais la fonction est la même : le lieu où l'on dort, où l'on abandonne son corps au sommeil dans une confiance obligée.
Étrange langage
Habiter, c'est aussi tisser des liens avec d'autres humains. En linguiste, Budai enquête dans les mots, les phrases, les sons, les lettres à la recherche d'une correspondance. Mais nulle pierre de Rosette.
La fusion des individus en des foules anonymes, ce mouvement perpétuel qui ne laisse pas de place à des formes de contacts suffisamment durables pour permettre une relation qui permettrait de dévider la pelote des significations.
Puis il rencontre
E pépé et le roman atteint un possible point de bascule.
Mais epépé, ce sont seulement les trois syllabes qu'il croit entendre lorsqu'elle lui dit son nom. de l'émetteur au récepteur, la distance se creuse comme lorsqu'un enfant joue au « téléphone arabe ». le message se transforme jusqu'à perdre tout sens. le langage des corps ne suffira pas ; epépé disparaît.
Comment vivre quelque part, sans habiter, même sans enthousiasme ? La difficulté à habiter, à tisser des liens avec les lieux et les humains, amplifie sa nostalgie, ce mal du pays que certaines circonstances du déracinement attisent douloureusement.
Étrange style
Sans fioritures, et c'est à peine si l'on s'aperçoit de l'absence de dialogues. Proche de celui de Perec dans « Les Choses » et qui parle d'émotions, de sentiments, sans émotion. Paroles désincarnée .d'autiste ?
Étrange livre : poseur de question : sur le besoin de repères, l'importance du langage, le rapport aux étrangers, à l'autre.
Dont même le titre n'est pas sûr. Bébé …Dédé … Pépé …Tchététché … epépé
« Nuit et jour sont identiques
Nos cauchemars, magnifiques
Dit K.Dick, K.Dick, K.Dick,
Étrange été
Étrange été »
(
Alain Bashung)