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sur 396 notes
« L'étranger nous oblige à nous penser et nous faire autres nous-mêmes. » (Julia Kristeva)

Étrange histoire
L'histoire de Budai, linguiste, qui se rend à Helsinki pour un congrès. A la suite d'un évènement inconnu il débarque dans un pays, une ville dont il ne connaît ni le nom, ni l'emplacement sur une carte, ni la langue. Dé-paysé. le sens a disparu, le cauchemar est absolu.
Étrange espace
Il ne peut rien déduire d'une architecture qui mêle les temps et les lieux, les références mauresques, romaines, médiévales ou chinoises.
Ce lieu, n'est pas celui d'une altérité radicale, incompréhensible par manque de repères, mais celui d'un trop-plein de références, d'une forme de fusion qui combine ce que le monde sépare.
La ville inconnue est surpeuplée ; c'est une ville de foules, un flot en mouvement qui interdit toute tentative de station prolongée en un lieu, donc de rencontre.
C'est « une vase visqueuse qui l'environne, alors qu'il n'y a pas une seule branche à attraper, un seul point fixe où poser les pieds »
Étranges usages
Parfois une atmosphère festive l'attire vers les autres ; certes il est « un peu extérieur, » mais « il se sent appartenir à cette foule, ou plutôt il aimerait appartenir à n'importe quoi ».
Budaï se mêlera un jour à une fête (nationale ?), une foule carnavalesque. Mais une foule vite réprimée quand elle bascule dans la révolte face à une police armée chargée du maintien de l'ordre. Et cela sans savoir s'il s'agit d'une véritable révolte ou d'un rituel de printemps.
Budaï ne veut pas s'habituer et pourtant il prend ses marques, s'organise un territoire, réseau de lieux, tissu d'habitudes, qui lui permettent de tenir debout. Ainsi Il récupère « sa clef »à l'hôtel, comme un rituel.
Et même, dans la dernière partie du roman, lorsqu'il est chassé de l'hôtel, Budaï, après un temps d'errance, va reconstruire un espace autour d'un point fixe ; ce ne sera pas la chambre mais la fonction est la même : le lieu où l'on dort, où l'on abandonne son corps au sommeil dans une confiance obligée.
Étrange langage
Habiter, c'est aussi tisser des liens avec d'autres humains. En linguiste, Budai enquête dans les mots, les phrases, les sons, les lettres à la recherche d'une correspondance. Mais nulle pierre de Rosette.
La fusion des individus en des foules anonymes, ce mouvement perpétuel qui ne laisse pas de place à des formes de contacts suffisamment durables pour permettre une relation qui permettrait de dévider la pelote des significations.
Puis il rencontre E pépé et le roman atteint un possible point de bascule.
Mais epépé, ce sont seulement les trois syllabes qu'il croit entendre lorsqu'elle lui dit son nom. de l'émetteur au récepteur, la distance se creuse comme lorsqu'un enfant joue au « téléphone arabe ». le message se transforme jusqu'à perdre tout sens. le langage des corps ne suffira pas ; epépé disparaît.
Comment vivre quelque part, sans habiter, même sans enthousiasme ? La difficulté à habiter, à tisser des liens avec les lieux et les humains, amplifie sa nostalgie, ce mal du pays que certaines circonstances du déracinement attisent douloureusement.
Étrange style
Sans fioritures, et c'est à peine si l'on s'aperçoit de l'absence de dialogues. Proche de celui de Perec dans « Les Choses » et qui parle d'émotions, de sentiments, sans émotion. Paroles désincarnée .d'autiste ?
Étrange livre : poseur de question : sur le besoin de repères, l'importance du langage, le rapport aux étrangers, à l'autre.
Dont même le titre n'est pas sûr. Bébé …Dédé … Pépé …Tchététché … epépé

« Nuit et jour sont identiques
Nos cauchemars, magnifiques
Dit K.Dick, K.Dick, K.Dick,
Étrange été
Étrange été »

(Alain Bashung)




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"Épépé" est un livre unique, très prenant.

Bien entendu, il faut accepter le parti-pris du livre, qui dès les premières pages, abandonne son personnage principal, Budaï, dans un monde confus, un monde dénué de repères. Une ville inconnue dans un pays inconnu.

La tension monte au fur et à mesure, Budaï se démène pour se faire une place dans cette ville surpeuplée (les passages de descriptions de la foule en perpétuel mouvement sont fabuleux).

Le lecteur se retrouve de plein pied dans un conte à la tonalité surréaliste, c'est aussi pour cette raison que nous aurions bien tort de nous évertuer à nous raccrocher à un semblant de trame réaliste. "Épépé" dépeint un univers drôle et inquiétant, foutraque, désorganisé, aux faux airs de société dictatoriale.

Il faut dire que le sujet du roman ne porte pas tant sur les tribulations d'un homme égaré dans une ville dont il ne comprend pas la langue employée, mais plutôt du désespoir de tout être humain face à l'incapacité de communiquer.
Au fil des pages, Ferenc Karinthy déploie une savante analyse des subtilités du langage, de l'emploi des mots, de ses racines (le personnage principal est d'ailleurs linguiste), et parvient à nous exaspérer, au même titre que Budaï, en nous confrontant à cette impossibilité d'échange.

On l'aura vite compris, pour tout être humain, le dialogue est vital. En dépit de ce cadre dramatique, "Épépé" est néanmoins truffé de passages humoristiques qui rendent la lecture enthousiasmante.

Je recommande cet objet littéraire unique, à l'ambiance inquiétante, habitée, dont l'écriture virtuose, l'imagination prolixe pousse le lecteur à tourner les pages à grande vitesse.
On se perd, on s'étourdit, on rit.
Un petit bijou !

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Ferenc Karinthy, linguiste de formation, est un écrivain hongrois (1921-1992). Il est le fils du célèbre écrivain et journaliste hongrois Frigyes Karinthy (1887-1938). Son roman, Epépé, est paru en 1970.
Budaï, un linguiste professionnel maitrisant ou ayant connaissance de plusieurs dizaines de langues, se rend à Helsinki pour participer à un congrès. Un malheureux concours de circonstances inexpliquées voit son avion atterrir dans une ville d'un pays qui n'est pas la Finlande, mais pire encore, complètement inconnu ! Et malgré sa connaissance poussée des langues, il lui est absolument impossible de communiquer avec qui que ce soit, donc d'en repartir. Où vais-je, où cours-je, dans quel état j'erre ?
Ca c'est du roman et d'un genre pas banal ou je ne m'y connais pas ! Je me suis exaspéré durant la moitié du bouquin et je me suis interrogé tout du long et même après l'avoir refermé. Un roman déroutant donc intéressant.
Exaspération, oui et pas qu'un peu, parce que rien n'est crédible dans ce roman et que je n'imagine pas un seul pays du globe où, certes avec des difficultés, on ne finisse par trouver un mince moyen de communiquer, surtout quand on est un spécialiste des langues écrites et parlées comme notre héros. Cette globalité de situations sans aucun moyen de se faire comprendre dans laquelle Budaï est englué m'a franchement énervé car poussée à l'extrême. Par contre, si on démonte l'ensemble et qu'on ne retient que quelques cas, le globe-trotter se retrouvera en terrain connu et se rappellera des moments vécus approchant. Autre invraisemblance, les foules improbables qui se pressent partout et tout le temps, que ce soit dans l'hôtel où est logé Budaï, ou bien dans les commerces et même au cimetière ! Voilà ce qui pourrait rebuter un éventuel futur lecteur mais il faut savoir persévérer.
Interrogation, bien sûr, car la vraie question qu'on se pose, c'est de quoi nous parle ce roman ? Et là, franchement, je ne sais pas vraiment. Contrairement à ce qu'en dit dans sa préface Emmanuel Carrère, j'y vois et comment pourrait-il en être autrement, du Kafka, avec atmosphère sinistre et surtout impersonnelle, particulièrement le Château avec cette même situation où un homme arrivant dans un village tente d'entrer en contact avec les autorités, en vain. Il y a aussi, un doigt d'expressionnisme allemand comme dans le film de Fritz Lang, Metropolis, et ces foules en noir et blanc. A moins que ce ne soit une parabole sur le(s) communisme(s), les foules qui font la queue partout et agissent en troupeau, quand un individu (Budaï) veut des explications il se heurte à l'indifférence ou l'autisme généralisé, et quand le héros se retrouve au milieu d'une révolution ( ?) n'est-ce pas le printemps de Prague ou l'insurrection de 1956 en Hongrie ? Et s'il y avait un chouya de politique nataliste chinoise aussi : « L'aurait-on condamné pour ce pêché-là, pour le crime social le plus grave : tentative volontaire de multiplication de la population ?» Et n'est-ce pas Fidel Castro dans cette silhouette esquissée « il porte un béret miteux, des godillots, un survêtement vert sale et un ceinturon par-dessus ; il tient sa main droite sur un étui de revolver. » Ou plus simplement, une parabole sur l'état du monde moderne (de 1970), le roman condensant en une sorte de kaléidoscope, toutes les images du monde qui font la matière de nos JT de 20h, mais qui serait vu par un Martien fraichement débarqué ?
Si on en revient au texte lui-même, l'auteur étant linguiste lui aussi, nous avons de très intéressants et instructifs passages savants où sont développés les raisonnements de Budaï pour tenter de comprendre par extrapolations, la langue des autochtones. Et le roman prend une tournure singulièrement familière hélas, autant qu'émouvante quand le héros sombre dans la déchéance après avoir épuisé son pécule et devient SDF, son regard sur la ville évoluant.
Un roman, vous l'avez compris, qui sort des chemins balisés, peut-être pas destiné à tous les lecteurs mais qui ne laisse pas indifférent. Une étonnante aventure littéraire où je vous conseille fortement de plonger.

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Mais que signifie donc Épépé ? Pour Budaï qui arrive par un malheureux hasard de voyage dans une ville parfaitement inconnue, au lieu d'atterrir à Helsinki où il se rendait pour un colloque, ce mot étrange sera le premier qu'il comprendra au bout de longs jours à côtoyer une population dont la langue lui est totalement étrangère. Ce qui lui arrive est implacable, un somme de durée indéterminée dans l'avion, l'arrivée à l'aéroport qu'il croit être d'Helsinki, mais quand le taxi le conduit à un hôtel où il ne comprend rien, ni les paroles du portier, qui lui prend son passeport, ni les inscriptions placardées ici et là, il commence à se poser des questions. Et pourtant Budaï est linguiste, mais rien ne lui rappelle une langue connue. Il en vient même à se demander dans quel continent peut être située cette ville. « Que fait-il ici, et même où se trouve cet "ici", quelle ville, quel pays, quel continent, quel coin du monde maudit des dieux ? ». de plus, l'endroit est surpeuplé, le moindre déplacement est compliqué par des hordes d'habitants toujours pressés, par des files d'attente interminables. Cette ville est quelque peu angoissante, avec ses hautes tours, ses murs gris, et brouillard, nuages et pollution qui cachent le plus souvent le soleil.
Emmanuel Carrère dans la préface compare Épépé avec le film Un jour sans fin ou avec l'histoire de ce malheureux qui vécut des dizaines d'années dans un hôpital psychiatrique sans réussir à communiquer avec personne parce qu'il ne parlait pas la langue locale. J'ai trouvé des accents, aussi, dans le malheur, du Voyage d'Anna Blume et me suis posée la question de l'ultime voyage, l'ultime destination, que se pose Budaï à un moment. Mais sans doute l'auteur a-t-il plutôt voulu traiter, sur le mode du décalage et de l'humour, de la vie quotidienne sous un régime totalitaire…
En tout cas, la fable est particulièrement réussie, les péripéties nombreuses, et j'étais impatiente de reprendre ma lecture pour savoir ce qu'il allait advenir de Budaï, embarqué dans une bien terrible aventure, malgré sa débrouillardise et sa sensibilité aux langues étrangères. Aventure plus terrible pour lui que pour le lecteur, qui sourit plus d'une fois. Quelques petites longueurs vite dépassées, et une lecture que je ne suis pas prête d'oublier !
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Paru en Hongrie en 1970, Épépé raconte l'histoire de Budaï, un linguiste hongrois qui se rend à un congrès de linguistique en Finlande, mais dont l'avion atterrit dans un pays inconnu dont il ne parle pas la langue et où personne ne le comprend.
La mésaventure qui arrive à Budaï a tout du cauchemar. J'ai d'ailleurs espéré tout au long de ma lecture que Budaï n'allait pas finalement se réveiller dans l'avion où il se serait endormi, car cette fin aurait été beaucoup trop facile (rassurez-vous, la fin est bien plus jolie). Si la mésaventure de Budaï ressemble tant à un cauchemar, c'est qu'en mettant en échec ses compétences de linguiste elle l'atteint au plus profond de lui-même. Tout commence dans ce roman par une erreur de correspondance des plus anodines qui pourrait arriver à n'importe lequel d'entre nous. Mais parce que Budaï est linguiste, ce qui lui arrive est pour lui impensable. Il devrait pouvoir se faire comprendre grâce aux nombreuses langues qu'il parle, comme il devrait également pouvoir reconnaître la langue locale ou au moins la situer dans un groupe de langues déjà connu de lui. Mais dans ce pays étrange, même le système d'écriture lui est inconnu. Quant aux sons qu'il entend, ils se ressemblent tous. Pire, la langue est instable. Même la jolie liftière s'appelle tantôt Épépé, tantôt Védédé ou encore Tchététché. Alors face à cette langue étrange, Budaï perd tous ses repères.
Au cours de la lecture d'Épépé, le lecteur accompagne Budaï dans son enquête. Avec lui il scrute les visages, observe les bâtiments, relève les noms des rues, attentif à tous les signes. La grande force de ce roman est de ne pas contenir son interprétation. Au lecteur donc d'interpréter à sa guise ce récit fantastique, kafkaïen mais souriant. On peut sans doute y voir une parabole des régimes totalitaires, mais à part une scène de répression violente, peu d'éléments permettent d'aller très loin dans ce sens. On pense un peu aux pays de l'Est et à leurs files d'attente interminables, mais alors qu'on y cherche la Hongrie d'après 1956, on peine à l'y trouver vraiment. Pour ma part, sans doute en raison du contexte de ma lecture, j'y ai vu aussi une allégorie de la situation de l'immigré. Car bien qu'instruit dans son pays d'origine, dans ce pays inconnu Budaï n'est qu'un analphabète. Incapable de véritablement communiquer avec les autres, il est très seul dans la foule. Quand l'argent vient à lui manquer, ses préoccupations d'intellectuel s'éloignent, alors qu'il se recentre sur ses besoins élémentaires qu'il faut bien satisfaire : se nourrir, trouver un endroit où dormir, soigner une rage de dent… Sans doute peut-on voir dans ce roman une charge contre les mégalopoles modernes qui uniformisent les comportements et rendent indifférent au sort de l'autre. Peut-être est-ce un récit d'anticipation, une vision de ce que seront bientôt nos grandes capitales mondialisées, mais peut-être aussi n'est-ce qu'une histoire absurde, inquiétante et comique à la fois. C'est en tous cas un roman qui marque, qui vous poursuit longtemps après sa lecture et que je vous recommande.

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Voici un livre bien déroutant, hors des sentiers battus. Esprits cartésiens s'abstenir. L'auteur de ce roman fait vivre à son héros, et à nous par contre-coup ou solidarité, une expérience éprouvante et angoissante. Budaî, un linguiste hongrois de renommée internationale, se rend à Helsinki. Fatalité ou erreur d'aiguillage, son avion atterrit dans un pays inconnu où la langue utilisée lui est totalement inconnue et échappe à toutes ses tentatives de décryptage. Commence alors pour lui un vrai cauchemar et nous assistons impuissants à ses vains efforts pour communiquer dans une société qui ressemble à un entrepôt Amazon la veille de Noël.
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Je pense qu'il conviendrait de conseiller aux lecteurs d'être sous respirateur artificiel pour lire cet ouvrage, tant il est oppressant…

Budaï, linguiste reconnu, prend un avion à destination de Helsinki pour une conférence. Il s'endort à bord et semble pas beaucoup plus réveillé à l'atterrissage. Bref, il se laisse conduire sans rien dire à ce qu'il pense être son hôtel. Mais au réveil, il comprend qu'il n'est pas du tout à Helsinki. Et découvre progressivement qu'il est arrivé dans un pays totalement inconnu, à la langue étrange, dont il ne comprend pas un traitre mot. Rien. Que dalle (lui ! un linguiste renommé, qui maitrise une multitude de langues… !). Impossible de comprendre. Impossible de se faire comprendre. Bref, tout semble conduire à une seule et unique conclusion : impossible de fuir cette ville et ses habitants et rentrer chez lui.

Le postulat de départ apparaît croustillant à souhait. Et le développement est poussé à son paroxysme. le sentiment d'étrangeté et d'abandon complet est détaillé dans les moindres recoins : rien ne permet à Budaï de déchiffrer quoi que ce soit de cette langue, rien ne lui permet d'en appréhender la plus petite once de signification, même des mots ou expressions banals (pas une seule publicité de produit étranger, par exemple, qui permettrait de commencer un début de déchiffrage). N'oublions pas que l'histoire se déroule vraisemblablement dans les années 60… on est loin de nos époques sur-numérisées !

Une écriture oppressante, aux paragraphes compacts. Une écriture étouffante, aux multiples supputations en boucle qui ne conduisent à rien. Une oppression renforcée par l'organisation de la ville même dans laquelle Budaï atterrit et le comportement de ses habitants : un mélange de film d'anticipation et d'univers kafkaïen, un 1984 surpeuplé (l'ultra-surveillance en moins), un univers de stress, gris, brouillon, une foule toujours en mouvement, où personne ne prend la peine d'accorder un regard ou une minute à cet individu visiblement étranger et perdu.

Et le lecteur que je suis ne peut échapper à la confrontation avec les interrogations que le roman sous-tend : combien de temps prendrions-nous, nous-mêmes, pour orienter un étranger dans un métro aux heures de pointe ? combien de temps prendrions-nous, nous-mêmes, pour assister un individu totalement étrange et incompréhensible dans ses tentatives d'explication ? Qu'est-ce qu'une société d'individus ? Que devient l'humanité dans une mégalopole ?...

Budaï garde son sang-froid dans les premières heures, les premiers jours, mais progressivement perd, désespère, et se lance finalement dans des tentatives de plus en plus désespérées pour s'en sortir, … Et puis, de la même façon qu'une idée originale qui ne nécessiterait, pour une adaptation cinématographique, qu'un court ou moyen métrage, mais s'essoufflerait sur la longueur d'un long métrage, le roman epépé m'a perdu progressivement dans des développements ultimes que j'ai peiné à déchiffrer, sauf à les comprendre comme des tentatives de rapprochements avec n'importe quel individu, comme des adhésions à n'importe quels groupes, quels qu'ils soient, pourvu qu'il y ait la plus infime trace d'affinité, de communauté (à défaut d'humanité ?).

Je garde toutefois les deux premiers tiers de l'ouvrage environ, parfaits à mon sens.
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Bienvenue dans le monde de l'absurde, de la non communication, du non langage, dans un monde où l'individu n'existe plus, car il est emmené ou s'est emmené de lui-même, dans des couloirs, des files, où il n'y a plus d'individus, il n'y a plus que des êtres sans âmes, qui attendent, quoi, ils ne le savent plus eux-mêmes, un ticket pour manger, un ticket pour circuler, et qu'il faut un ticket pour obtenir un autre ticket... Bienvenue dans ce monde non pas "communiste" "bloc de l'est"... comme chacun aime à le dire, mais bienvenue dans le monde d'aujourd'hui, 2020. Et Ferenc Karinthy a fait oeuvre de science fiction, me dit-on.
Je dirais non, il a fait oeuvre. Tout simplement. Tout génialement. Avec une intelligence et une sensibilité, trop hors du commun. On me dit qu'il s'agit d'une critique du système soviétique dans le bloc de l'est. Je dis non, pas que. C'est tout simplement la présentation de nos systèmes institutionnalisés, convaincus qu'ils sont les seuls, les meilleurs... et les organisations occidentales sont dans le viseur. Car C'est là le génie, le talent, l'intelligence, et sans doute sa souffrance, de Ferenc, c'est que Budaï son héros, son anti-héros, utilise son intelligence, ses connaissances, tout ce qu'il a en lui, et il en a, pour déjouer un système incompréhensible. Et chaque fois qu'il échoue il recommence, il retente. Mais contre les systèmes, qu'il soit communiste, capitaliste, l'individu est écrasé. Alors ce livre, un roman de pure fiction, est d'un absolu pessimisme. L'individu, même instruit, même éduqué, même cultivé, ne pourra rien contre une masse inculte, bornée, et c'est là, je pense, qu'il vient s'insurger contre tous les systèmes politiques, mais pas que les communistes, pas que le bloc de l'est, tous les systèmes politiques qui anéantissent l'être humain, celui qui réfléchit, celui qui pense, celui qui veut utiliser son intelligence, son savoir, son éducation, pour décrypter, ce que fait Budaï, et Budaï échoue, encore et encore, car de mon point de vue, ce que je vois dans cette lecture, c'est que nous sommes voués à l'échec, malgré notre culture, notre éducation, notre savoir, et même notre envie de nous adapter. Ce roman est donc, certes, complètement d'une pure fiction, mais comme grand nombre de romans, d'un pessimisme, d'une noirceur, et pourtant il est drôle, il est désopilant et enfin il pourrait se dérouler n'importe où aujourd'hui. Ecrit en 1970, il est visionnaire.
Qui ne s'est pas heurté à une administration (un exemple) qui avait un langage incompréhensible, qui renvoyait à l'autre guichet ? Ce livre est un bonheur à lire,
une assurance quant à l'absurdité qui nous entoure (nous ne sommes pas seuls)... et un rappel à la nécessité de rester humble. Je résume, une belle lecture et une belle leçon.
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J'avais entendu parler de ce roman très spécial, que certains érigent au rang de livre-culte. J'ai donc décidé de le lire, à titre "expérimental". L'intrigue est simple. Un homme, qui voulait aller à Helsinki en avion; atterrit dans une ville tout à fait inconnue; il y trouve une foule dont la langue est parfaitement incompréhensible pour lui, alors que son métier est… linguiste. Non seulement le langage, mais le comportement de tous ces gens lui semblent étranges et décevants. le "héros", complètement isolé dans la ville et livré à lui-même, cherche à survivre, à trouver quelques repères et à fuir pour revenir dans son monde familier…
Ferenc Karinthy nous introduit dans un vrai cauchemar, qu'il veut particulièrement glauque. le lecteur se sent pris au piège, comme le personnage du roman. C'est tellement bien fait que… j'ai été vite dégoûté par ce monde kafkaïen et j'ai eu du mal à finir le volume. C'est trop pénible ! Pourquoi avoir décrit si longuement ce monde grisâtre et sans aucune perspective ? dans quel esprit l'auteur nous y emmène-t-il ? Je n'ai pas de réponse convaincante. Une chose est sûre: je n'ai pas aimé !
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Budaï est linguiste, polyglotte, spécialiste de l'étymologie, reconnu comme une sommité dans son domaine. Et c'est justement en se rendant à un colloque à Helsinki que sa vie bascule : il se trompe d'avion lors de la correspondance et aboutit dans un aéroport inconnu. Groggy d'avoir trop dormi pendant le vol, il suit le flot de passagers, prend un bus jusqu'à un hôtel et c'est là, au moment de prendre sa chambre qu'il constate que personne ne le comprend. Il essaie une quinzaine de langues, aucune n'a le moindre effet. Pis encore : lui-même ne comprend ni le langage parlé ni l'écriture utilisés dans cet endroit.
Isolé ainsi, muni des rares affaires qu'il avait gardées avec lui tandis que sa valise était orientée vers la Norvège, il va tout tenter pour repartir. Mais dans cette ville démesurée et surpeuplée, chaque geste quotidien devient un défi : le moindre panneau est une énigme, les habitants, incapables de comprendre Budaï, se montrent indifférents, grossiers, voire violents quand il s'agit de jouer des coudes pour se frayer un passage sur un trottoir noir de monde où dans une file d'attente interminable.
Grâce à son intelligence, Budaï s'adaptera, pourra subvenir, plus ou moins, à ses besoins de base, le temps de localiser, du moins l'espère-t-il, une gare, une ambassade ou l'aéroport par où il est arrivé.
Ce combat de chaque jour le mène dans tous les lieux possibles, métro, fête foraine, cimetière, prison, grand magasin, marché, abattoir... Il se confronte alors à l'absurdité de cette ville congestionnée, où la patience, la soumission, l'inflexibilité et la brutalité sont intégrées par tout un chacun.
Dans ce décor, avec ses personnages et les péripéties qu'il impose à son protagoniste, Ferenc Karinthy compose une oeuvre étrange, alternativement risible et désespérante, et finalement complètement surréaliste, tout en étant hyperréaliste par la précision des détails. Il nous emporte aussi dans une vraie aventure humaine, prenante, inquiétante, dont on veut connaître le dénouement.
C'est également une belle source de réflexion : sur la difficulté à communiquer et sur l'isolement (allégorie de la démence sénile ? de la prison ? du sort des réfugiés dans un pays où ils n'ont plus aucun repère ?), ainsi que sur la douleur que l'on peut ressentir quand nos forces, nos qualités nous abandonnent et que ce qui nous rendait si singulier ne compte plus. Budaï le linguiste émérite se retrouve incapable de communiquer. Là encore, n'est-ce pas une image de ces humains dépossédés ou déracinés ? Les humains auxquels l'âge ou la maladie volent les richesses de la jeunesse ou de l'expérience ? Les humains que la guerre arrache à leur terre et qui efface leurs mérites, leurs diplômes, leur histoire, leur identité, leurs espoirs ?
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