Jonas KARLSSON est un artiste suédois : acteur, auteur de pièces de théâtre et écrivain. Je l'ai découvert avec un extraordinaire récit très poignant, "
le cirque" qui nous plonge dans une histoire à déchiffrer pour mieux comprendre et admettre la différence.
Avec "
La facture", l'auteur, empruntant les chemins de l'absurde, voire du surréalisme, nous offre une fable, un conte philosophique sur notre société. A la lecture, il est difficile de ne pas penser à
B. BRECHT. le roman est écrit à la première personne. le héros, dont le prénom n'est pas précisé, est le narrateur. Il mène une vie aussi tranquille et routinière qu'insignifiante : célibataire et presque solitaire, sans problème d'ego, petit boulot à temps partiel, sans beaucoup d'argent et avec aucune ambition. Mais il ne se plaint de rien et se réjouit facilement (musique, cinéma, art, le souffle du vent, les rires des enfants, les pizzas, les couleurs du ciel, les femmes qui passent …). Jusqu'à ce qu'une facture exorbitante lui parvienne : désormais les habitants de la planète sont taxés en fonction de leur niveau de satisfaction dans la vie, leur indice de bonheur vécu (IBV).
Le profil du narrateur cochant toutes les cases des systèmes modélisés fait de lui l'homme le plus heureux, donc le plus taxé (Big Brother n'est pas loin). Or, il ne possède rien, ni argent, ni bien matériel. Et voilà notre narrateur parti en quête d'explications auprès d'une machine administrative kafkaïenne déshumanisée ET "bienveillante" (parce qu'elle écoute, même si elle n'entend pas). Il narre ses chagrins, ses déceptions, ses malheurs ce qui a pour effet de faire grimper plus encore
la facture car ses soucis ont toujours été source de belles émotions. « Vous crevez de bonheur, espèce de pervers », lui déclare un responsable.
Il se débat, soumet son cas, essaie d'échapper au cadre fixé, fait des rencontres glaçantes mais aussi charmantes ou amusantes. La prison l'attend, la mort peut-être ? Va-t-il s'en sortir ?
L'ensemble est fort cocasse et grinçant. L'écriture est simple, efficace. L'auteur à l'art de "croquer" ses personnages en quelques mots. On sourit, on rit en se disant que peut être dans un avenir proche… Mais surtout
Jonas KARLSSON nous offre là une illustration très séduisante pour entamer une réflexion sur le bonheur… C'est quoi le bonheur ? A quoi sert-il ? Est-il satisfaction des désirs sans cesse renouvelés, des rêves, des ambitions ? Est-il plutôt un état, une façon de considérer la vie, un regard, une attitude, requiert-il détachement… Les cours de philo ne sont pas loin et l'exercice est stimulant et amusant. Quoi qu'il en soit, j'apprécie définitivement
Jonas KARLSSON.