J'ai vissé fermement un couvercle sur mon coeur ; j'ai tourné le dos à la mer.
Je devais me rendre à l’évidence : Aki avait disparu. J’avais perdu Aki. Tout ce qu’il y avait à voir n’existait plus pour moi. L’Australie pas plus que l’Alaska, la Méditerranée pas plus que l’océan Antarctique. Où que j’aille dans le monde, cela aurait été pareil. Quelle que soit la beauté du paysage, si splendide soit le panorama, je n’aurais pas pu être ému, j’aurais été incapable de les apprécier. La personne qui me donnait le désir de voir, de savoir, de ressentir… de vivre, cette personne avait disparu. Elle ne reviendrait pas vivre avec moi
- Gagner sa vie, qu'est-ce que cela veut dire ?
- C'est remplir une fonction qui correspond à ses capacités au sein de la société. En échange, on reçoit un salaire. Maintenant, imaginons une personne qui vaut par sa capacité à aimer quelqu'un d'autre. Est-ce qu'une telle personne ne se rend pas utile à la société ? Pourquoi ne serait-elle pas payée pour cela ?
J’eus soudain l’envie irrésistible de me lancer vers elle. Mon corps tout entier fût gagné par une joie intense tandis que je prenais conscience pour la première fois qu’à l’égal des autres garçons, j’étais tombé amoureux. Maintenant, je comprenais la jalousie que je m’étais attirée de la part de mes camarades. Cela allait même plus loin, je ressentais de la jalousie à l’égard de moi-même. J’avais au fond de la bouche le goût amer de l’envie pour cet autre moi-même qui pouvait passer autant de temps qu’il le voulait avec elle, qui vivait avec Aki un bonheur sans nuages
Le bonheur était comme ces nuages qui se transformaient à chaque instant, passant du scintillement de l'argent à la grisaille de la cendre sans jamais se fixer dans un état, quel qu'il fut. Même les moments les plus lumineux de la vie n'étaient pas moins passagers qu'un caprice, pas moins éphémères qu'un jeu d'enfant. Ils s'évanouissaient avec la rapidité de l'éclair.
Il en va peut-être aussi de notre vie, ai-je pensé de longues années après. Une vie menée dans la solitude est une vie longue et ennuyeuse. Lorsque nous la menons à deux, le moment de nous séparer survient sans que nous ayons vu le temps passer.
Je crois que ce qui existe maintenant contient tout ce qui existe, avança-t-elle finalement en paraissant peser chacun de ses mots. Tout est là ; rien ne fait défaut. C'est la raison pour laquelle il est inutile de demander à Dieu de combler un manque ou bien de vivre dans l'attente de l'au-delà ou du paradis. C'est important de se rendre compte de cela. Elle fit une pause puis reprit : - c'est dur à expliquer mais je dirais que les choses qui ne sont pas là maintenant ne seront pas davantage là après la mort. En revanche, les choses qui sont là maintenant continueront d'exister même après.
Si seulement ce rêve avait été la réalité et la réalité, un rêve. Mais cela était impossible. C'est pour cela que je pleurais chaque fois que j'ouvrais les yeux. Pas parce que j'étais triste. Lorsqu'il me fallait quitter mon rêve pour la réalité, je devais franchir une faille et ce n'était qu'en versant des larmes que j'y arrivais. Je ne pouvais pas faire autrement.
La séparation et l'absence ne sont pas tristes en tant que telles. C'est parce que des sentiments préexistaient que la séparation est déchirante, que nous gardons le regret de la personne disparue, qu'il nous est si difficile de surmonter notre chagrin. Mais par là même, la douleur et le chagrin ne sont qu'une manifestation unilatérale de la profondeur de l'amour que nous portions à cet être.
Je te vois en vrai chaque jour, je n'ai pas beoin de rêver de toi.