Le conjoint envahit des espaces que l'on désirerait plus réservés. Par tyrannie domestique, par amour, par simple familiarité. Il ne souhaite rien d'autre que se rapprocher et n'imagine pas le problème de celui qui se sent agressé, étouffé, collé, épié. Deux éthique à nouveau s'affrontent, cherchant à redessiner la frontière des sphères personnelles.
Plus l'expérience conjugale se prolonge, plus chacun des deux partenaires découvre que ce qui l'agace personnellement n'agace pas l'autre et inversement. A propos de détails minuscules (...) s'ouvrent soudainement de subtils et diffus chocs des cultures. Le point de départ est un objet agaçant pour l'un des deux partenaires.
"Ca, ça m'agace! ça m'énerve! ça me met en effervescence! Que chacun ait son petit bazar, O.K., mais dans ses coins à lui. Vous pouvez demander à mes voisins le nombre de fois où ils m'entendent hurler parce que mon mari laisse traîner ses affaires ; ils ont l'habitude. Faut pas dire d'ailleurs que ce soit très efficace, mais ça me fait du bien." Généreusement, Agnès concède cependant les circonstances atténuantes au présumé coupable, en reconnaissant qu'elle est "un peu maniaque" pour le ménage.
A tout seigneur tout honneur : je commencerai par quelques objets qui portent avec éclat la symbolique des agacements dans le couple. Pour dire encore un mot de la place des choses, les clés par exemple sont un grand classique. Dans de très nombreuses familles, un endroit approprié est prévu pour les mettre. Or il est rare que les deux protagonistes du petit drame qui va suivre respectent le mode opératoire à un même degré. L'agacement est d'autant plus irritant ici que celui (ou celle) qui "oublie" de mettre la clé à l'endroit où il est prévu de la mettre reconnaît plus ou moins qu'il a tort et promet de ne plus recommencer. Or il (ou elle) recommence.
On ne peut croire au rêve que le temps du rêve ; mais pendant le temps du rêve on y croit vraiment.
La vie de couple est un combat permanent : ce qui retient et attire doit dominer ce qui repousse et agace.
S'imaginer qu'hommes et femmes sont à tel point et irrémédiablement différents qu'ils proviennent de deux planètes (disons Mars et Vénus) est très rassurant face à la complexité des divergences dans le couple. Tout est ainsi ramené à une cause si fatale qu'elle interdit d'escompter des changements futurs.
Je parlais de "petit drame", car bien que les agacements (surtout ceux des autres) tendent souvent à nous faire rire, il y a peut-être aussi matière à pleurer. Nous nous trouvons pris au piège d'une injonction contradictoire, opposant besoin de tranquillité et modernité libératrice. La première injonction est celle qui nous pousse à rechercher le bien être personnel et la paix conjugale. Qui pourrait, qui voudrait y renoncer? Dans notre société, déjà si agressive et éprouvante, assurément personne. C'est donc l'injonction contraire qui risque d'en faire les frais, celle qui était pourtant au centre du double programme émancipateur du dernier demi-siècle : l'égalité parfaite entre les hommes et les femmes, et la créativité individuelle, loin des inacceptables rôles imposés.
Le manque d'écoute, voire la dépréciation ou le dénigrement du partenaire, pénibles dans l'intimité, deviennent absolument insupportables en public. Comment continuer à s'engager avec dévouement dans le travail complexe de fabrication de l'unité quand l'aimé(e) vous trahit ainsi sous le regard des autres ?
Les routines, je l'ai dit, sont inévitables. (...) Elles doivent pourtant ne pas envahir exagérément, mais laisser place à des espaces d'attention à l'autre, de surprise et d'invention ; sous peine sinon d'ouvrir la voie à une montée en puissance d'agacements alimentant l'insatisfaction.