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Critique de Sachka


Il y a
les seins de Katharine Hepburn
des seins de polos sans manches
des seins de double-mixte
Il y a
les seins de Jean Harlow
Et puis il y a ...
les seins de Makiko

(Extrait revu et corrigé pour l'occasion de "Platine" de Régine Detambel).

"Seins et Oeufs" ("Chichi to Ran" pour la version japonaise) est le deuxième roman de Mieko Kawakami, il a paru au Japon en 2008 et une fois de plus la plume de l'autrice ne m'a pas laissée indifférente tant elle exprime avec un naturel désarmant tout ce qui a attrait au corps de la femme et à son intimité. Avec ce court récit Mieko Kawakami nous offre une parole de femmes, sensible parfois même délicieusement effrontée et qui nous laisse un léger goût d'amertume tant elle pousse à l'introspection.

Mieko Kawakami nous raconte un moment de la vie de trois femmes d'une même famille, chacune rendue à une période charnière de son existence dont la plus jeune des trois est âgée de douze ans : Midoriko. Midoriko qui depuis six mois a décidé de ne plus parler à son entourage sauf par le biais de l'écriture, des petits mots griffonnés ici et là et son journal intime dans lequel elle exprime son mal-être face à son corps qui se transforme sous les effets de la puberté et face à sa maman pour laquelle elle s'inquiète beaucoup (beaucoup trop pour une jeune-fille de douze ans). La maman c'est Makiko, elle a trente-neuf ans et élève seule sa fille depuis une dizaine d'années, elle peine à joindre les deux bouts en travaillant comme hôtesse dans un bar d'Osaka, ce qui ne l'empêche pas de nourrir une obsession pour ses seins qu'elle projette de faire refaire dans un futur très proche. Et enfin Natsu, qui est la soeur cadette de Makiko, chez qui mère et fille vont se rendre le temps d'un court séjour durant lequel elles vont devoir cohabiter toutes les trois tant bien que mal dans le petit appartement tokyoïte.

Si Mieko Kawakami donne la parole à Midoriko par l'intermédiaire de son journal intime c'est Natsu la soeur cadette qui s'approprie la narration de ce récit en nous partageant un point de vue railleur et bien souvent désabusé quand il s'agit d'évoquer sa soeur. On ressent une forme de rancoeur contenue dès les premières pages, rancoeur certainement liée à son propre mal-être car finalement dans cette histoire celle qui est le moins en accord avec son corps n'est pas celle qu'on voudrait bien nous laisser croire.

Midoriko petit poussin trop fragile parviendra-t-elle à sortir de sa coquille à l'issue de ce séjour ? Makiko ira-t-elle au bout de son projet de se faire refaire les seins car malheureusement elle fait partie de ces femmes qui se retrouvent en situation de grande précarité, elle est une "boshi-katei", une mère célibataire, élever seule un enfant au Japon est un véritable parcours du combattant, le marché du travail donnant la priorité aux hommes et la pension alimentaire n'étant pas obligatoire comme en France. Mais paradoxalement ces femmes n'hésitent pas comme Makiko à cumuler les emplois et pour certaines à dépenser 1 500 000 yens pour modifier leur apparence. Comment Makiko pourrait-elle résister ? La chirurgie esthétique est en plein essor au Japon, elle est partout, blanchiment de la peau, augmentation mammaire, chirurgie des paupières pour occidentaliser le regard, publicités, panneaux d'affichage qui vous promettent une vie meilleure, être plus belle pour avoir un bon mari, être plus belle pour avoir un bon travail...
Et même si ne pas aimer certaines parties de notre corps est dans notre nature profonde, nous avons toutes et tous des complexes et nous vivons tant bien que mal avec mais certaines femmes plus fragiles comme Makiko y voient peut-être là un remède miracle pour adoucir le malaise ressenti face aux difficultés de l'existence qui leur est imposée.

J'ai trouvé les trois personnages de ce récit extrêmement touchants, chacun à sa manière : Midoriko qui s'inquiète tellement pour sa maman et qui refuse de voir son corps changer. Comment expliquer à une jeune fille de douze ans qui ne supporte pas l'idée d'avoir les seins qui poussent que sa maman, elle, voudrait se faire opérer pour en avoir plus ? le personnage de Natsu aussi, qui est si dure envers les autres et envers elle-même et qui finalement quand on soulève un peu la carapace laisse entrevoir une profonde solitude, un grand besoin d'amour et une fébrilité certaine face au temps qui passe et à ses effets sur le corps.

Un très joli roman sur la perception que peut avoir une femme sur son corps à différents moments de sa vie et sur l'estime de soi, que je vous invite à lire...

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