Les lions d'Al-Rassan

Que seule la peine parle ce soir.
Que la peine nomme les lunes.
Que la pâle lumière bleue soit Perte
Et que la blanche soit Mémoire.

Le roi ne distinguait aucune déférence sur ce visage aristocratique. Pas davantage - un bref coup d'oeil - chez les quatre prêtres de second rang qui s'étaient maintenant immobilisés derrière de Chervalles. Nulle hostilité, nulle agressivité, rien d'aussi incivil, mais des prêtres n'avaient pas besoin d'être hostiles pour créer d'universels ennuis.

Le cheval poussa un terrible hennissement en s’empalant sur la forêt de piques. Le hurlement d’un cheval est un son effrayant. Nino di Carréra, avec la souplesse du désespoir, se précipita de sa selle au moment même où son cheval dégringolait.

Elle s'était souvent posé la question du prix payé par les fils des grands hommes. Cet hiver, avec Idar et Abir, elle examinait de nouveau cette question. De pareils enfants pouvaient-ils se dégager de cette ombre immense jetée sur leur enfance ? Elle songeait à Almalik II de Cartada, le fils du Lion ; aux trois fils du roi Sancho le Gros d'Espéragne; et, en vérité, aux deux jeunes fils de Rodrigo Belmonte.

D'un autre côté, se rappela brusquemen Yazir, Ashar avait enseigné que la charité envers les dévôts était l'un des actes de piété terrestre les plus méritoires après le trépas au cours d'une guerre sainte, et cet homme - ce Hazem Ibn Almalik - était plus près d'un véritable dévôt que n'importe quel prince d'Al-Rassan depuis bien longtemps. Il se trouvait là, après tout. Il était venu les rencontrer. Ils devaient en tenir compte. Si seulement il avait pu être autre chose que ce semblant d'homme émasculé...
- Rien, grogna Yazir.
- Comment ? Je regrette...
- Mon frère ne disait rien. Ne vous inquiétez pas tant. (Ghalib)
Il essaya de le dire avec bonté. La bonté ne lui venait pas naturellement. La patience non plus, bien qu'il se fût donné beaucoup de peine pour se l'enseigner au fil des années.

La période de transition entre un roi puissant et son successeur était toujours périlleuse.

Il y avait un monde à créer en Espéragne, en Al-Rassan, un fait de la rencontre de deux univers ou peut-être, si l'on voulait rêver, de trois. Le soleil, les étoiles, les lunes.

Husari ibn Musa s'accroupit près d'eux avec un sourire empreint de gentillesse. "Ashar nous a appris que les pas des hommes sont autant de traces dans le désert. Vous le savez".
Jehane essaya de lui rendre son sourire, en vain. "Et les Kindaths disent que rien n'est destiné à durer sous l'orbe des lunes. Que, nous qui nous appelons les Errants, nous sommes le symbole de toute vie humaine." Elle se tourna alors, après une pause, vers le Capitaine : "Et vous ?" demanda-t-elle.
Et Rodrigo Belmonte répondit à voix basse : "Même le soleil se couche, madame."

Il y avait des fortunes à édifier dans la gestion et le commerce et, là où s'édifiait une grande fortune, comme disait le vieux proverbe, le désir d'en posséder davantage n'était pas bien loin.

Parfois la flèche du coeur trouve son chemin vers la certitude malgré les admonestations de la prudence.