La criminalité en col blanc a toujours été mon domaine de prédilection. J’y ai débuté comme procureur, avant de passer un temps de l’autre côté comme avocate pour des entreprises. Quand j’ai été nommée ici, il était convenu que c’était pour parfaire mon expérience et que je serais prioritaire pour un poste à responsabilité du côté financier. Vous comprenez donc que je cherche à ne pas faire de vagues. Éviter coûte que coûte les pourvois, sans parler du cauchemar d’être désavouée en appel.
Une bonne partie de notre activité ne suscite guère de controverse, valider des testaments et des successions, des mesures conservatoires pour des personnes en état d’incapacité. Il nous arrive de statuer sur la garde d’un enfant, mais le plus souvent la décision n’est pas contestée. Des gens qui ne demandent pas mieux que d’être débarrassés de leurs gamins : parents schizophrènes ou toxicomanes qui ne parviennent plus à faire face, parents condamnés à une longue peine de prison, ce qui oblige en général à s’en remettre à un membre de la famille, une grand-mère ou une tante par exemple.
Quand il n’y a plus d’argent, les avocats sont moins zélés.
Faire les choses sérieusement, cela prend du temps. Et le temps, c’est de l’argent.
Autant dire que mon cabinet suffisait à mon bonheur. J’y recevais principalement des parents estimables qui m’amenaient leurs sympathiques gamins dont les problèmes pouvaient se régler à brève échéance. Le genre de patients qui vous donne le sentiment d’accomplir des miracles, ce qui est toujours agréable. Tout changea le jour où la justice eut à statuer sur la garde d’une enfant que je suivais. Amy, quatre ans, était élevée par sa mère célibataire. Celle-ci, qui se débrouillait plutôt bien dans l’ensemble, avait sollicité quelques conseils quant à son éducation et son développement, ainsi que pour l’orientation scolaire de sa fille. La petite était le résultat d’une aventure d’un soir et n’avait jamais rencontré son père, marié à l’époque et policier dans l’État de Washington.