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Citations sur Canoës (39)

C’est si simple, si facile, et la circulation si tranquille à cette heure, pas un encombrement, pas un seul obstacle, rien qui puisse perturber mon champ de vision – mais peut-être suis-je trop sûre de moi en cet instant, ou ailleurs, dressée dans ma solitude où pousse à présent quelque chose de fragile, quelque chose qui m’appartient en propre et que je protège comme on protège un secret -, quand pourtant je dose mal l’appui de mon pied sur la pédale et rabats trop durement le volant, si bien que la Mustang bondit, un soubresaut, ma tête bascule vers l’avant puis rebascule en arrière, mon corps se contracte, mes mains se cramponnent, je n’arrive pas à redresser ma trajectoire qui se déporte inéluctablement sur la file de gauche, et coupe la voie à ceux qui remontent en sens inverse sans se douter de rien (…) Baong ! Un bruit mat et mou éclate dans l’habitacle, j’ai percuté l’avant d’une Buick caramel
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Je m’assieds au volant en prenant soin de régler l’inclinaison du dossier, la distance des pédales, puis je démarre et bientôt stabilise une vitesse lente et continue, une vitesse de croisière, et me projette au hasard, décentrée, désorientée, multipliant les variations, les écarts, les déroutages, les perspectives. Souvent, une fois lancée, j’allume l’autoradio, aussitôt assaillie par les prêches religieux que débitent d’une fréquence à l’autre des voix mâles aux modulations perverses, tour à tour séductrices et menaçantes, caverneuses, des prêches que j’écarte, choisissant la musique, un air, une chanson que je pourrais chanter moi aussi, à voix haute et claire, à voir forte même, à gorge déployée dit-on – c’est si bon de chanter fort en secouant la tête ; et si je baisse le volume, je perçois alors ma propre voix, furtive mais incroyablement nette, elle me revient, et insiste, comme si ces heures seule en voiture ne servaient qu’à ça : l’entendre.
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Je roule au volant d’une Ford Mustang vert forêt, intérieur skaï vert amande. Lourde, souple, moelleuse. Un pur-sang galope en travers de la calandre. La voiture mythique de l’Amérique. Le bruit de son moteur l’annonce, et où qu’elle aille en ville chacun tourne la tête et la regarde passer – il n’y en a pas d’autre ici je crois, avait murmuré Matt, notre voisin, les yeux braqués sur elle, tandis que nous buvions une bière ensemble, le soir de son acquisition.
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De jour, ça avait de la gueule, c’est vrai. La petite ville se coulait comme dans le fond d’un canyon entre une mesa – une formation rocheuse spectaculaire, aux versants abrupts et au sommet plat – et les premiers contreforts des Rocheuses, une géologie violente et tourmentée qui reflétait, pâlis, des travellings panoramiques de western, ceux que l‘on regardait le mardi soir en éteignant la lumière du salon pour faire comme au cinéma, mais les bandeaux noirs qui ajustaient le format du film sur l’écran de la télé avaient disparu, et soudain j’étais dans l’image.
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Cette capsule de bière qui roule dans ma bouche, cette couronne de métal cabossée, déformée d'u coup de mâchoire, son pourtour dentelé de pointes, le recto poli, émaillé sous ma langue, le verso râpeux, et cette façon dont elle a de prolonger son goût de petite monnaie tiède, de faire durer sous mes lèvres ses arômes de foin et de houblon, de rappeler l'amertume, cette pièce d'or Heineken frappée d'une étoile rouge qui valdingue contre mes dents et que je colle sous mon palais telle une hostie clandestine, il est midi, la prairie craque, il règne un grand silence, le ciel est sillonné de photométéores, je traîne un grand sac-poubelle de plastique noir, et devant moi, l'herbe aplatie, piétinée, creuse sur une surface plus clair que le couvert végétal, une vaste cuvette où les pierres qui cette nuit cerclaient notre foyer sont encore chaudes.
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Je tends le bras entre les herbes chaudes qui piègent les détritus, mes doigts forment la pince primitive – une pince soupçonneuse, vaguement dégoûtée –,la prairie bourdonne, une odeur âcre émane du sol, entêtante, une humidité de paillasse cuite. Je collecte les allumettes carbonisées et les épingles à cheveux, une boucle d'oreilles, une taie d'oreiller, un prospectus pour louer des canoës à la rivière, un couteau cassé et une plaquette de pilules contraceptives, une peau de banane, une coque de téléphone portable, des carcasses de poulet – des ossements lisses, blanchâtre si parfaitement rognés qu'on les dirait régurgités de la gueule d'un renard.
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Eblouis, je n’ai pas saisi immédiatement ce qui se jouait là, le long de cette artère qui fléchait le centre de Denver sur près de dix miles, et j’ai plissé les yeux : des parkings de voitures entouraient le bus, à perte de vue. Des centaines de concessionnaires et de marchands de bagnoles d’occase, des milliers de voitures et de pick-up étaient garés là, à touche-touche, coalisés, ne formant plus qu’une surface de métal qui étincelait au soleil. Vus de mon siège, les toits et les capots semblaient s’être littéralement substitués au sol, ils carrossaient la plaine et la platitude du relief augmentant l’effet de la perspective, ils donnaient au bassin de Denver l’aspect d’un lac étincelant. Des étendards et des fanions flottaient haut dans le ciel, encadrant des enseignes géantes, aussi solennels et majestueux que des drapeaux de pays, leurs logos colorés saillant dans l’immensité monochrome et leurs lettres épelant le grand alphabet de l’industrie automobile américaine : Buick, Cadillac, Chevrolet, Chrysler, Dodge, Ford, Jeep, Lincoln, Mercury, Plymouth, Pontiac.
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Ce que Zoé appelle « sa voix de chiotte » n’est autre chose qu’un timbre claire et vif, une voix au débit saccadé, pointue mais capable de s’élever dans la stridence – un ruisseau de montage. Je l’aime, cette voix, c’est la sienne. Quand je pense à Zoé, c’est ce timbre qui revient et, dans son sillage, la nuit où elle avait chanté des standards de folkeuses américaines (….)
Il semble pourtant que cette voix soit trop aigue pour devenir une vois radiophonique. Ici, on n’aime pas trop les petites voix sucrées ! A-t-on balancé récemment à Zoé, manière de la prévenir que son accès au micro était compromis, et quelle ferait mieux de revoir ses rêves à la baisse. Un présage qu’elle a entendu comme une incitation à se montrer opiniâtre, à prouver sa valeur, et surtout à travailler sa voix afin de la rendre plus grave, plus profonde, plus posée. Plus masculine tu veux dire ? Ai-je demandé. Moins féminine en tout cas, m’a-t-elle rétorqué en s’allumant une clope. Zoé est donc partie en quête de sa voix grave, celle qui connote la compétence, l’autorité et l’assurance que l’on refuse à sa voix aigue.
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En mars 2020, alors que je commençais à écrire sur la voix humaine, les bouches ont brusquement disparu sous les masques, et les voix se sont trouvées filtrées, parasitées, voilées : leurs vibrations se sont modifiées et un ensemble de récits a pris forme.
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À bord de la Mustang, nous circulons dans une infra-fiction secrète, nous planons dans le crépuscule.
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