La nuit des béguines

Marguerite pense que l’amour de Dieu la dispense de la loi et de l’encadrement de l’Eglise. Mais l’amour est un sentiment ambivalent. Il commence par l’esprit, et finit, chez les êtres faibles, par consumer les sens.
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 Il est des jours où règne le déséquilibre, des heures où le diable fait pencher la balance des âmes du côté sinistre. Durant ces jours et ces heures, il faut se montrer particulièrement attentif. Car les signes se multiplient, confus, mais plus pertinents parfois qu’aux moments de grande clarté. 

Je crois que les clercs n'acceptent pas qu'il y ait parmi les béguines des personnalités cultivées, lesquelles s'emparent des écritures et de la prédication. Après tout, c'est là que réside leur pouvoir! Marguerite n'a

La proximité de la mort ramasse le temps.

Le travail de copie est long, fastidieux. Tracer minutieusement les lignes et les marges qui serviront de guide, tailler et retailler sa plume, la tremper à chaque instant dans l'encrier. Écrire la main levée, les doigts gourds et le poignet raidi de fatigue. S'attacher à rester lisible tout en faisant varier la régularité du tracé, en comprimant ou dilatant les lettres, en jouant avec les blancs et les abréviations pour adapter le plus possible le texte au cadre défini par la réglure... Mais les mots écrits ont une vertu magique, ils sont l'instrument de la transmission, le support de la parole.

Son assistante manque du premier talent que requiert tout apprentissage, celui des plantes peut-être plus que les autres : la capacité d'observer. Ce qui ne signifie pas regarder et reproduire. Mais longuement, en, s'oubliant soi-même, s'imprégner de chaque geste. Ne pas se contenter de noter les ingrédients d'un remède et leur quantité, s'attacher également à la manière de les manipuler, de les mêler avec délicatesse ou vigueur, de les écraser, le pilon roulé ou frappé. Patiemment aussi, s'exercer à reconnaître des yeux, du nez et de la pulpe des doigts la qualité intrinsèque des herbes, leur chaleur ou leur humidité, leur force ou leur subtilité, afin de doser plus finement leurs associations. Agnès demande sans cesse des explications, des précisions. Elle n'a pas compris l'essentiel. Chaque préparation est unique, et dans chacune, il faut être capable de mettre une intention.

Je n’ai pas entendu que du bien sur elle chez les Cordeliers. À force de mépriser l’enseignement des clercs, elle a fini par en offenser beaucoup. Et ce rejet des pénitences, du jeune ou même des préceptes moraux, elle n’est pas loin des errances des adeptes du libre-esprit.

Mais il manque à Humbert les tournois intellectuels passionnés de la Sorbonne, cette dissection presque technique des textes, ces raisonnements aventureux, parfois vains, mais qui permettaient à la pensée de s’épanouir, de s’affûter, et lui procuraient des jouissances aussi fulgurantes que les caresses des filles.
Auprès de frère Jean, il découvre une pensée aussi aiguisée que celle de ses maîtres parisiens. Et une sorte de curiosité, d’appétence presque juvénile pour le savoir que lui-même a le sentiment d’avoir perdues.

Le déséquilibre n’est pas le désordre, lui disait souvent son aïeule. Il est nécessaire à la vie. Il impulse le mouvement. […] Lutter contre le déséquilibre, concilier les contraires, rétablir l’harmonie. La seule véritable mission que nous puissions accomplir sur cette Terre. Et pourtant, nous nous en acquittons si mal…

Elle a dit que la colère, la colère du coeur et de la bouche, la colère des membres, abimait le corps et l'âme.