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La narratrice vit entre deux mondes celui qu'elle va quitter et celui qu'elle va rejoindre comme la rivière Lea,
qui n'est pas dans la ville ni complètement en dehors, va atteindre l'estuaire de la Tamise.
« La rivière Lea, qui sépare ici la ville du vide des campagnes, a un cours assez bref. Elle prend sa source dans les basses collines du nord-ouest de Londres, s'épanche à travers un paysage aux grâces dociles, atteint ces bords francs où la ville s'effrange, suit alors la ceinture sans fin des faubourgs, enroule le bras autour des limites du vieux Londres canaille, retors et industrieux, pour, enfin, à huit miles au sud-est de Springfield Park, rejoindre la Tamise qui déjà s'élance vers la mer. »

Elle, dont le fleuve de son enfance était le Rhin va, accompagnée d'un vieux polaroïd qui lui permet de saisir des instants fugaces, errer, de l'automne au printemps, dans un no man's land entre Springfield Park et les bords de la rivière Lea qu'elle suivra jusqu'à son embouchure. L'estuaire marquera l'ouverture l'élan vers un autre monde coïncidant avec le déménagement de la narratrice.
Ce livre est celui des adieux, mois d'adieux
« où suivant la pente de la rivière, j'ai pris l'habitude de donner mes propres noms à une ville que j'avais péniblement appris à épeler au fil des ans, des noms que la marche et l'observation seules savaient puiser aux eaux résurgentes de la mémoire, parmi les alluvions d'images et de sons, dans la toile des mots anciens entremêlés. »

Attentive au moindre changement, que ce soit la tonalité des couleurs, la variation subtile de la lumière, les reflets de l'eau, les sons, les frôlements, bruissements dans les herbes, l'auteur analyse finement chaque rencontre et la relie parfois au passé, à son enfance et ses différents voyages où elle nous parle d'autres fleuves tels l'Oder fleuve frontalier comme le Rhin, le Danube, le Saint Laurent lié à la tante Liesl, le Pô et son estuaire ….

« Des journées silencieuses, baignées d'une lumière opaline, étaient parfois interrompues par de brèves périodes de bourrasques tièdes qui charriaient dans le ciel des nuées violet-brun, sur les marécages des ombres gris foncé, tandis que le soleil couronnait les nuages d'une lumière acide qui conférait aux silhouettes une netteté rare, tranchante et fugitive. » p 180

Les êtres qu'elle côtoient, retrouvent dans son quartier au retour de ses escapades, prennent une importance et une densité telle qu'on ne peut les oublier comme celui qu'elle nomme le Roi dont elle dit : « il marquait pour moi, quand je rentrais de mes marches sur les bords de la rivière, la couture qui séparait la ville d'un paysage offert à toutes les sauvageries. »

« J'ai rencontré le Roi dans les derniers temps de mon séjour à Londres. Il m'est apparu le soir, dans un demi-jour turquoise. Il se tenait à l'entrée du parc et regardait vers l'est, où montait déjà un bleu profond et vaporeux, tandis que le ciel resplendissait encore dans son dos. Il a surgi de l'ombre des buissons qui bordent le portail et, à petit pas silencieux, s'est avancé tout au bord de la pelouse où à cette heure de la journée, les innombrables corbeaux du parc décrivaient leurs cercles à vive allure.
Le Roi a déployé les bras et les corbeaux se sont rassemblés autour de lui.
(…)Rien dans cette silhouette ne s'accordait avec le paysage qui l'entourait, avec ses vieux arbres si hauts, les roses tardives de cet hiver clément, le vide inattendu des terres. » p 11-12
Il y a aussi les Hassidim, le Croate, l'épicier Katz et beaucoup d'autres.. Les marchés de quartiers qui naissent et meurent, le petit marché d'Inverness street, celui des Sans-patrie.

Errance pleine de vie qui déploie autour du lecteur une toile dont les fils de trame font frôler le fantastique. Car dans le monde de Esther Kinsky rien n'est laissé à l'abandon et elle sait faire naître et vibrer toute l'étrangeté et la beauté, inquiétante parfois, de territoires en friche, de zones industrielles rongées par la rouille, d'un quotidien même le plus banal et sordide en apparence.
J'ai vraiment apprécié la richesse de cette écriture et de ce récit qui oblige à prendre son temps, à revenir parfois sur ses pas pour le savourer pleinement.

Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour m'avoir offert la découverte de si belles pages.
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Merci aux éditions Gallimard ainsi qu'à Babelio pour ce livre reçu dans le cadre de masse critique.

Ce roman est inspiré par la nature. C'est une rêverie, un songe éveillé, teinté de poésie, de lyrisme. Il est ponctué de photos, et représente un apport aux reflets intimes d'une auteure poétique allemande traduite pour la première fois dans notre langue.

Il raconte l'histoire d'une jeune femme faisant un arrêt dans sa vie et se tournant vers le passé, auprès de ce qu'elle néglige peut-être, ou de ce qu'elle a enfoui en elle depuis longtemps. Cette jeune femme ne vit plus à son endroit. Elle a quitté son ancienne maison, ses habits du passé, et vit dans un logement provisoire. le sentiment d'attente est palpable tout au long du livre, comme si tout était suspendu dans le temps.

Ses nouveaux repères, là où elle se trouve aujourd'hui, représentent un nouvel équilibre pour elle. Autour d'elle, un parc, un village de péniches, un bois d'aulne déboisé, une épicerie, … Elle observe des joueurs au travers de la fenêtre, … La rivière Léa peuplée de cygnes lui rappelle le Rhin de son enfance, que l'on appelait le "Père" Rhin, nourricier.

Elle pense à ses nombreux voyages, et à d'autres cours d'eau… Dans cette parenthèse de sa vie, elle puise son énergie dans le passé familial, dans son culte personnel. C'est là où se trouvent ses appuis, ses forces. Quand on habite dans un lieu provisoire, y a-t-il peut-être toujours un repli sur soi, ou du moins un retour vers le passé ?

Au cours de ses promenades, elle s'amuse à prendre des photos avec un polaroid. Elle ramasse des "pots cassés", des bouts de photographies. Des choses incomplètes. En devenir. Elle mesure la valeur poétique de ces objets.

Ce livre est descriptif, mais il raconte aussi des anecdotes de voyage qui rendent hommage à des personnes rencontrées au cours de ses déplacements.

Dans ce livre, j'ai trouvé par endroit une paix étrange et une écriture superbe, de très belles descriptions de coins naturels, de jardins, de lieux laissés à l'abandon… C'est un livre où le personnage ne se met pas en avant, mais où au contraire, l'écriture, la poésie, détiennent toute la place, et donc, par conséquent, il est très exigeant et demande du temps pour être lu et apprécié à sa juste valeur. Auteur à découvrir.

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ne femme s'installe "dans un appartement sommairement agencé où [elle]allait poser [sa]vie pour un temps."dans la banlieue de Londres, près d'une rivière.
D'elle, nous ne connaîtrons pas grand chose, ni son nom, ni son âge.Elle semble être dans un entre-deux à la fois temporel et spatial, à la marge de la ville, côtoyant des gens à peine insérés dans la société. Elle arpente la campagne, photographiant à l'aide d'un appareil instantané, suivant les rivières; pérégrinations où lui reviennent parfois des souvenirs, tous liés à des cours d'eau étrangers, en Italie, en Inde , en Israël, dans les pays de l'Est de l'Europe.
Fleuve frontières, fleuves abolissant les frontières entre l'eau douce et la mer," fleuve infusé de morts"(le Gange), elle les décrit avec une extrême précision, empreinte de poésie.
Quelques rencontres fugitives, quelques évocations oniriques , facétieuses ou dramatiques de scènes urbaines ou de nature, apparitions fantasmatiques (le Roi des Corbeaux), créent un climat étrange et fascinant où revivent parfois certaines activités économiques du passé.
Cela donne un texte au rythme lent, à la langue exceptionnelle (bravo au traducteur), qui peut parfois perdre son lecteur, mais qui offrira à qui acceptera de se laisser envoûter une magnifique expérience de lecture.

Merci à Babelio et à Gallimard.
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La narratrice quitte son ancienne maison par un petit matin bleu pour un appartement à l’est de Londres, sommairement agencé, où elle va poser sa vie pour un temps. Elle se promène au bord de la rivière Lea affluent de la Tamise et nous entraîne à la rencontre des oiseaux, des buissons et des arbres, le long des sentiers de promenade elle vagabonde dans des quartiers abandonnés, des usines désaffectées, des terrains vagues, des étendues sauvages.

Des petits fragments du monde fixés sur la pellicule, des souvenirs, des moments de sa vie saisis par l’objectif l’emmènent au fil de l’eau du Rhin, le fleuve de son enfance, au Gange à Calcutta, en passant par l’Oder fleuve frontière, le Saint Laurent à l’est du Canada, la Neretva en Croatie, la Tisza au nord de la Hongrie, un voyage à la rencontre des habitants, de personnages atypiques, des commerçants et des artisans, des cultures et des coutumes.

Un roman qui serpente le long des cours d’eaux, ruisseaux, rivières, fleuves, une écriture précise et poétique avec un talent de la description hors du commun pour nous conter les paysages, les couleurs, que ce soit une usine éventrée, une terre en friche, un marécage nauséabond, les plages de Tel-Aviv ou le cours du Rhin qui porte sur son dos toute la vie errante des péniches.

À chaque page, on ressent la présence de l’eau toute proche. Un roman qui coule doucement, mais laissez-vous entraîner au fil du courant porté par une langue magnifique.
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Pourquoi la narratrice a-t-elle déménagé dans un petit appartement sombre à l'extrémité Est de Londres, combien de temps y laissera-t-elle ses cartons. Elle l'ignore.

A cet endroit, la rivière Léa sillonne Londres et va se jeter dans la Tamise. Ses berges ont abrité bien des vies au fil du temps, principalement des petites usines et des maisons ouvrières. Elles sont à présent abandonnées, envahies par les herbes hautes et le sol marécageux. C'est là que se promène inlassablement cette femme, son polaroïd saisissant ces lieux retournés à la nature comme si l'image instantanée pouvait en restituer la mémoire.

« le mot fleuve suffisait à convoquer en moi des panoramas, des vues et des perspectives de l'enfance – autant de cartes postales que m'écrivait le souvenir. J'ai eu recours à ces points de vue tout au long de fleuves innombrables, je les mettais en regard des paysages qui s'offraient à mes yeux, comme pour mesurer les uns à l'aune des autres » (p. 185).

Née sur les bords du Rhin, la narratrice est depuis toujours attirée par les villes d'eau, par le mouvement continuel du liquide, alpha et oméga de toute vie, symbole d'énergie, de renouvellement, de purification, d'inconscient aussi. Souvent, au cours de ses promenades, des souvenirs fugaces de ses séjours à l'étranger viennent rencontrer l'eau de la rivière Léa. Qu'elles soient majestueuses comme le Gange, la Neretva ou le Yarkon, les rivières ont toujours deux rives, qu'elles sinuent dans les campagnes ou dans les zones urbaines. Et partout, l'eau est comme une frontière, une limite, entre ses vis-à-vis. Que voit-on d'une rive à l'autre ? La vie d'en face est-elle différente ?

Tant et tant d'observations à travers le monde se veulent illimitées, offertes aux regards, aux émotions, au souvenir d'images accumulées dans des albums, décolorées, qu'un simple coup d''oeil rend vivaces.

Les pensées de la marcheuse ne sont ni joyeuses, ni tristes, mélancoliques plutôt, empreintes de poésie jusque dans la boue ou le délabrement de vieilles bâtisses. On la sent entre deux eaux, entre deux chaises, entre deux voies. Quelques rencontres dans sa rue, dans le parc voisin de Springfield, dans les petits commerces de quartier. Les gens sont gris, moches, mélangés, pauvres sans être misérables, reflués dans cette zone populeuse, un peu méfiants, marqués par la fuite d'un pays en guerre, vivotant tant bien que mal. Pas de dialogues, pas de rires d'enfants, pas de chiens écrasés. Seulement des fragments de souvenirs.

C'est le premier livre d'Esther Kinsky traduit en français alors qu'elle a déjà obtenu de nombreux prix littéraires, notamment pour ses traductions de langues slaves en allemand.

D'autres lecteurs, à l'âme plus poétique que la mienne, seront certainement plus sensibles à la plume d'Esther Kinsky. Même les photos qui émaillent le récit me semblent floues et plates. Pas besoin d'en ajouter pour dire que cette lecture ne m'a pas réjouie, si ce n'est certaines tournures de phrases, comme celle-ci, par exemple : « Les quelques bribes d'hébreu que je possédais étaient emballées dans un baluchon, hors de portée de ma mémoire. Et moi qui jugeais pourtant autrefois que rien n'était mieux fait pour la langue et la gorge que ce langage âpre et doux » (p. 145).

Ce livre paraît chez Gallimard dans la collection « du monde entier » et fait partie de la rentrée littéraire 2017. Merci à l'éditeur et à la Masse critique de Babelio de m'avoir fait découvrir Esther Kinsky en avant-première.



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Le sous titre précise « Récit ». Parce qu'il ne s'agit pas d'un roman dans le sens classique du terme. La narratrice, alter ego de l'auteure, sans que l'on puisse définir la frontière entre les deux, les points où la création, le rêve, ou le fantasme effacent, remplacent la personne qui tient la plume par une autre.

L'essentiel du récit se passe dans les environs de Londres, dans une période de transition, dans une attente (sans que l'on sache vraiment de quoi), entre deux départs, dans un appartement de passage, avec des cartons pas défaits, des objets provisoires, des relations de hasard dont on sait qu'elles vont prendre fin dans peu de temps. La narratrice arpente, découvre, regarde. Sans but apparent, sans objectif, mais néanmoins systématiquement, avec l'appui de cartes. Une sorte d'envie de saisir, de garder trace, par notamment la photo, apparaît. Comme s'il fallait fixer, pour ne pas perdre, ne pas laisser mourir.

Mais ce qui est fixé, recensé, sauvé, n'est pas ce que les touristes vont chercher dans leurs voyages en général. Ce sont des gens ordinaires, des paysages que l'on pourrait trouver d'une grande banalité, des lieux qui sont l'inverse des lieux touristiques, des objets non pas anciens dans le sens noble et précieux, mais des objets qui ont servis, qui ont une histoire. C'est une recherche de la trame des vies, d'un quotidien qui s'enfuit sans cesse et qui nous échappe. Parce que les images, les rencontres, les choses, renvoient la narratrice à d'autres moments de sa vie, d'autres lieux, d'autres gens, dans une forme de continuum dans le temps et dans l'espace.

Comme fil rouge lâche, mais néanmoins inévitable, les fleuves, les cours d'eau, semblent rattacher, permettre de s'amarrer dans le courant de la vie. le Rhin, le premier, celui de l'enfance, dont les autres seront forcément des avatars. La Lea, affluent de la Tamise, à proximité du logement londonien actuel de la narratrice prend le plus de place dans le livre. Mais d'autres surgissent au fil des souvenirs, tapis dans les replis de la mémoire, qui ne demandent qu'à revenir au détour d'un souvenir, d'une analogie. Rien ne disparaît vraiment, il s'agit juste de se mettre dans des dispositions d'esprit qui permettent de retrouver, de revivre l'instant, les sensations, les états d'âme.

Récit d'un moment de grâce, dans lequel tous les fils d'une vie semblent se rejoindre, non pas en racontant les événements mais en tentant de rassembler la sensibilité. La sublime écriture d'Esther Kinsky, les images somptueuses, en partant d'un quotidien qui pourrait apparaître bien trivial, comme ce vieil homme fou, qui devient un roi, font de ce texte une sorte d'échappée poétique, une transfiguration, qui donnent leur noblesse aux paysages des faubourgs, aux vies à la marge, celles des pauvres, des étrangers, des gens qui n'ont pas pris l'autoroute des réussites conventionnelles, pour lesquelles il ne semble pas avoir de place dans l'oeil de la narratrice. Parce que c'est bien du regard qu'il s'agit, de saisir un moment, une image. L'auteure ne raconte pas d'histoires, n'essaie pas de deviner les enchaînements de faits dans les vies des gens qu'elle croise, elle se contente d'être là à un instant donné, et d'en fixer le grain, la matière, comme le ferait un peintre. Mais l'image possède un pouvoir d'évocation infini, qui permet à chaque lecteur de se projeter avant et après, de mettre en mouvement l'image, de mille façons différentes.

Une vraie splendeur, que ce livre, d'une immense richesse et profondeur.
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Dans ce roman magistral, Esther Kinsky nous livre le récit, dans une langue somptueuse, de la “vie balagan” d'une femme ayant déposé ses bagages dans la banlieue de Londres, près de la rivière Léa. On ne saura rien - ou si peu - de la narratrice, de sa vie, des raisons qui l'ont amenée dans cette banlieue du nord-est ; ceci n'est finalement pas important. Dans ce quartier cosmopolite, nombreux sont comme elle, jamaïcains, hassidims, croates, des voyageurs débarqués, pour quelques jours, parfois quelques heures. le lecteur est invité à naviguer en eaux troubles lors des expéditions qui conduisent cette femme le long de cet affluent de la Tamise, de ses sols marécageux, des morceaux de vie qu'elle recueille et assemble dans sa chambre.

A la manière des alluvions du fleuve, quelques rares souvenirs personnels émergent, la mort de son père, une enfance près du Rhin, ses lieux de transit (Israël, Canada, Hongrie). Ce sont les riches descriptions des lieux, quasi-topographiques, ou encore tout ce qu'elle observe de monde mis à distance, liées à une langue parfaitement maîtrisée, riche et poétique, qui rendent ce livre magique.
“La boue de chaque rivière souterraine possède une couleur qui lui est singulière et porte sa propre histoire. Aussi la palette de couleurs des briques de Londres est-elle la plus riche du monde."
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« Malgré les hautes nappes de brume qui enveloppaient encore le soleil d'un voile blanchâtre, je me sentais à l'abri de tout risque d'aveuglement, ici, sur les bords de la Lea …»

Cette phrase donne peut-être une clé pour lire ce « récit » d'Esther Kinsky (comme est sous-titrée « La Rivière »), qui met en scène une femme occupant un appartement provisoire dans la banlieue londonienne et errant le long de la Lea, une rivière des friches industrielles qui n'a rien de bucolique.

La peur de l'aveuglement, de l'éblouissement, de l'excès, dans tous les sens du terme, à laquelle est substituée l'intranquillité neutre de lieux sans charme permet à la narratrice de se créer une sorte de no man's land rassurant, d'où elle observe minutieusement les variations du paysage, des bosquets d'aulnes, ainsi que les apparitions de personnages tout aussi déracinés qu'elle.

Parfois les remous de la Lea la ramènent à son enfance sur les bords du Rhin ou à d'autres fleuves comme le Gange ou le Saint-Laurent.

Ce récit est toujours sous-tendu par la nostalgie de l'enfance, et un immense chagrin lié à l'abandon et à la mort du père.

La photographie joue aussi un grand rôle dans ce récit. Il ne s'agit pas de clichés esthétisants, mais de simples Polaroïds délavés ou d'enveloppes de photos de famille achetées dans des brocantes. Même si les images sont fixes, contrairement aux paysages, elles n'en sont pas moins marquées par le sentiment du fugitif.
« Rien ne s'immobilise jamais » écrit Esther Kinsky et « rien ne nous égare davantage que le souvenir. »

La langue d'Esther Kinsky, magnifiquement traduite de l'allemand par Olivier le Lay, est d'une richesse immense, d'une grande inventivité et d'une sensibilité hors du commun. Elle exerce sur le lecteur qui voudra bien s'y plonger une fascination hypnotique. Encore faut-il être capable de cet abandon.

On peut rapprocher cette langue de celle d'un Adalbert Stifter dans « l'Arrière-Saison » ou de celle De W.G. Sebald.


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Ce livre est le récit autobiographique de lentes pérégrinations effectuées le plus souvent le long de cours d'eau, mais aussi à travers la ville de Londres et ses faubourgs. Ces promenades, l'auteure les fait généralement à pied, mais aussi en bus ou en train de banlieue, un "trio" de moyens sûrs et complémentaires pour bien connaître un lieu.
Esther Kinsky mêle ainsi le présent, les souvenirs de son enfance sur le Rhin, les réminiscences de voyages sur l'Oder, sur la Neretva en Bosnie, sur le Gange en Inde ou sur le Saint-Laurent au Canada ....
Mais ce sont surtout les bords de la Tamise et ceux de son petit affluent la Lea que l'auteure fait découvrir au lecteur; elle arpenta ces rives jour après jour au long des années pendant lesquelles elle vécut dans les quartiers Est de la capitale britannique. Ce sont des tableaux quasi-campagnards, aux couleurs nuancées, qui sont décrits ici, avec leurs arbres, arbustes, marais, marécages, avec leurs animaux et leurs oiseaux. Ce sont des scènes de la vie citadine qu'elle relate, des paysages fluviaux qu'elle met au grand jour, un peu comme des photographies sur lesquelles le lecteur peut s'arrêter. Elle donne vie à des lieux de "non vie" , telles que les zones pavillonnaires sans âme ou encore les friches industrielles qui parsèment les périphéries urbaines. Elle y met de la couleur grâce à ses observations minutieuses et son aptitude évidente à la poésie.
Dans ce récit, quelques longueurs et quelques phrases "interminables" que l'on peut regretter, mais qui, à mon avis, contribuent à conférer au texte son caractère de "lente pérégrination".
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Un vrai talent car l'écriture est incroyable : faire lire des descriptions de paysages plus ou moins glauques en les rendant beaux, ce n'est pas donné à tout le monde !
Certaines phrases sont très longues (parfois 11 lignes) et pourtant cela ne freine pas la lecture... je vous disais 'un vrai talent' !

D'ailleurs appréciations par des journaux sur la 4e de couverture :
"La langue de ce livre est un phénomène" (Die Zeit)
"Un récit subtil, empreint de sagesse et d'une beauté émouvante" (Faz)
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