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Critique de outofzebra


Cette BD traduite de l'allemand dans laquelle Reinhard Kleist retrace l'itinéraire de Fidel Castro, des bancs de l'école jésuite au « pouvoir suprême », s'achève par une image de Fidel Castro, vieilli, portant un survêtement Adidas et citant Simon Bolivar : « Celui qui se consacre à la révolution laboure la mer. » La mystique révolutionnaire toute entière se trouve ainsi résumée, non seulement l'entreprise de décolonisation de l'Amérique à laquelle Bolivar ou Castro participèrent - une mystique s'ouvrant sur l'infini.
On peut mettre « pouvoir suprême » entre guillemets, car la position géographique de Cuba, à portée de main du géant américain, est un élément décisif dans l'histoire de la révolution cubaine et dans le personnage de Fidel Castro, dont l'épopée évoque David triomphant de Goliath. Sans l'aide des Soviets et de Moscou, qui n'allait pas forcément de soi, le « leader maximo » aurait facilement été éliminé par les Etats-Unis. La BD montre que Castro sut jouer de la rivalité entre les deux géants pour instaurer une sorte de microclimat politique cubain, que la défaite de l'URSS ultérieurement altèrera.
On voit dans ces pages Castro accusé par ses proches de sacrifier l'esprit de la révolution en pactisant avec l'URSS (dont le motif impérialiste concurrent des Etats-Unis était facilement décelable) – en même temps qu'il est clair que la volonté de Fidel Castro, contrairement à son compagnon Ernesto « Che » Guevara, n'était pas de mourir en martyr de la révolution, mais bel et bien d'essayer de construire quelque chose de durable. Castro est, certes, un rebelle ou un révolutionnaire, mais il possède la dose de machiavélisme indispensable à l'action politique. A priori, nul n'aurait misé sur Castro, tant les Etats-Unis pesaient sur Cuba, soutenant Battista et tirant profit d'un pouvoir mi-dictatorial, mi-mafieux.
R. Kleist se dit dans la postface motivé par le désir de surmonter les clichés sur Cuba et Castro, aussi bien les clichés de la propagande anticapitaliste que ceux de la propagande pro-américaine. Il parvient à dépasser le portrait excessivement romantique, comme l'image du dictateur diabolique. Il reste que la séduction exercée par Castro en Occident est facile à comprendre. Tandis que l'Occident n'offre plus que le spectacle d'un « personnel politique » et de technocrates à peu près interchangeables, soumis aux directives supérieures des banques et de l'industrie, Fidel Castro est en comparaison, de la trempe des héros capables de se hisser au niveau de ce qu'il est convenu d'appeler « un destin ». le personnage du reporter-photographe allemand, spectateur de la révolution cubaine, plus castriste que Castro lui-même, est une bonne trouvaille.
Dans « Jules César », Shakespeare montre que le régicide et la révolte de Brutus, aussi légitimes soient-ils, compte tenu des violations De César, sont voués à l'échec. En effet, la question de la légitimité et du droit n'est que de faible importance au regard des forces naturelles que le jeu politique reflète. A peine César a-t-il été écarté que, déjà, Marc-Antoine s'empare du pouvoir et s'empresse de répéter les ruses et les abus de son prédécesseur. La révolution a pour effet de redistribuer les cartes, mais elle ne résout en rien le problème du pouvoir. Certain intellectuel stalinien a pu ainsi s'en prendre à Shakespeare, qui blasphème de cette façon contre la mystique révolutionnaire. « Castro », de Reinhard Kleist, rend plutôt indirectement justice à la lucidité dont Shakespeare fait preuve en ce qui concerne les promesses politiques de lendemains qui chantent ; on constate qu'à la fin du règne de Castro, près de voir Cuba réintégrer la « zone d'influence » des Etats-Unis et son rêve se dissiper (Lénine a connu semblable désillusion), la question du pouvoir et de ses limites demeure en suspens.
Lien : http://fanzine.hautetfort.co..
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