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Critique de HordeDuContrevent


« Tu comprends, la beauté de ce monde ne signifie rien si tu es seule sur terre ».

Connaissez-vous Karl Ove Knausgaard ? Il est l'auteur coqueluche norvégien dont les livres se vendent en nombre, autant que la Bible, 500 000 exemplaires rien qu'en Norvège qui compte 5 millions d'habitants…Né en Norvège en 1968, cet auteur a accédé à une reconnaissance internationale (particulièrement aux Etats-Unis) avec son cycle autobiographique en 7 volumes intitulé « Mon combat ». Mêlant réflexions, digressions, faits vécus, Karl Ove Knausgaard est parfois comparé à Proust ou à Kundera, c'est dans tous les cas un auteur qui marque son temps, qui marque les lettres norvégiennes. «La mort d'un père» a même reçu le Prix Brage en 2009 (l'équivalent du Prix Goncourt en Norvège). Et c'est l'auteur préféré de mon libraire. Ce cher Yann me parle aussi de sa femme, Linda, qui a écrit quelques livres dont le très sombre « Fille d'octobre », lente descente aux enfers marquée par sa dépression dont il est tant question dans les livres de son mari.

Avant d'aborder le cycle de « Mon combat », j'ai choisi de découvrir cet auteur avec le quatuor vivaldien des saisons, autre cycle autobiographique, publié plus récemment, conçu autour du dernier nouveau-né de l'auteur. Nous avons là un récit bouleversant d'un jour dans la vie d'un père confronté à un drame familial. Celui de l'internement de sa femme, de la jeune et fragile maman, et d'un père resté seul avec ses quatre enfants. de plus ce livre est un magnifique objet enrichi des illustrations d'Anna Bjerger, artiste suédoise. A l'image de la couverture du livre, des tableaux bucoliques de fleurs, d'arbres, d'oiseaux parsèment le livre telles des fleurs sauvages venant d'éclore. Un tableau en particulier me plait beaucoup : nous sommes sous un arbre, à l'ombre, nous devinons le ciel bleu, le soleil étincelant derrière les épaisses branches brunes auréolées de fleurs mauves en éclosion. Ces respirations printanières apportent beaucoup de sérénité au milieu des réflexions de ce père qui, bon an mal an, tente de garder le cap familial et d'apporter de la lumière à ses petits en absorbant les ténèbres qui rôdent. C'est un peu à l'image de ce tableau évoqué d'ailleurs que j'aurais volontiers mis en couverture du livre.

« En règle générale nous levions le camp vers neuf heures et nous partions explorer les petites routes gravillonnées qui subsistent par endroit, sans autre but que de découvrir des choses que nous ne connaissions pas encore. Je glissais un CD dans le lecteur et je laissais mes pensées vagabonder, car parfois, c'est aussi simple que cela : les corps statiques engendrent des pensées statiques ; si le corps se met en mouvement, les pensées commencent elle aussi à bouger ».

C'est donc le printemps. le moment de l'année où "le paysage donne l'impression de s'ouvrir de toutes parts", avant que le vert explose pour de bon. Un entre deux entre le grand sommeil et le grand bond. Dans une voiture, un père et son bébé de trois mois parcourent la campagne suédoise, traversent des champs plantés d'éoliennes, aperçoivent la mer, pendant que les trois autres enfants, plus grands, sont à l'école. Ils semblent heureux. le bébé bercé par la voiture, alternant siestes et observation d'un ciel bleu étincelant. le papa alternant réflexions, pensées philosophique et observation de la nature qu'il parcourt. Nous déambulons dans les méandres de ses pensées, dans son histoire, notamment dans son histoire de couple, dans ses angoisses, ses faiblesses, ses espoirs…Mais, au fil des heures, une réalité moins douce se dessine.

Il est étonnant de constater combien l'auteur peut mêler les choses les plus animales et intimes aux pensées les plus nobles et philosophiques. Ainsi décrit-il ce qu'il ressent en allant à la selle, sensations assorties immédiatement de réflexions profondes sur le sens de la vie. C'est par ailleurs un récit bien ancré dans la société suédoise et norvégienne, tant par les paysages caractéristiques qu'il nous est donné à contempler, que par la culture évoquée, les films de Bergman notamment sont régulièrement convoqués tant le couple aime ce réalisateur.

« Un après-midi pendant que ta mère dormait à l'étage, je fis la vaisselle. Par la fenêtre au-dessus du plan de travail, je regardais la pluie légère qui tombait en continu, la lumière grise donnait au vert cette intensité particulière typique des étés pluvieux de l'Europe du Nord que j'aimais tant, sûrement parce qu'elle me rappelait des étés dans l'ouest de la Norvège où il pleuvait en permanence et où le paysage d'une luxuriance froide était aussi vert que la jungle, l'exubérance et le voile de chaleur humide en moins ; son caractère sauvage était plutôt empreint de sobriété, ressemblait davantage à une extase froide. Les truites, les cascades écumantes, l'herbe moirée sur les flancs des collines, le ventre des nuages frôlant la surface de l'eau. Gris, vert. Vert, gris ».

Un récit touchant, un petit road-movie d'un père et de son nourrisson de trois mois à qui il raconte une journée au sein de cette famille marquée par le drame de l'hospitalisation de la mère, lors de son premier printemps parmi eux. Un récit dans lequel ce père s'adresse directement à sa petite fille, cadeau fait car elle ne gardera aucun souvenir de cette période. Touchant et tendre, pudique et profondément intime.

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