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Critique de fulmar


« À toute chose gaie, chose triste, le printemps est là,
Il est trop tard pour pleurer, ce n'est vraiment pas le moment,
J'ai redécouvert le temps perdu ».

Ces paroles de Véronique ne peuvent rester sans son dans la mesure où l'air de sa chanson ressemble étrangement à une autre de Donovan, « Sunny Good Street ».
Mais ces mots retentissent avec ceux de l'auteur de ce livre. L'association entre la gaieté et la tristesse pour exprimer la douceur et la douleur de la vie.

« Tu ne sais pas ce qu'est l'air, cela ne t'empêche pas de respirer. Tu ne sais pas ce qu'est le sommeil, cela ne t'empêche pas de dormir. Tu ne sais pas ce qu'est la nuit, cela ne t'empêche pas d'être cernée par celle-ci. Tu ne sais pas ce qu'est le coeur, cela ne l'empêche pas de battre tel un métronome dans ta poitrine, nuit et jour, nuit et jour, nuit et jour ». (Incipit)

Karl Ove Knausgaard, je viens de passer avec toi des moments sublimes, entre questionnement et certitude, entre vide et plénitude.
Je ne sais si tu permets que je m'adresse à toi, qui plus est en te tutoyant. Mais j'ai décidé de le faire, peut-être pour te remercier d'avoir instauré cette forme de communication que tu as choisie pour expliquer à ta petite fille dernière-née les soubresauts de l'existence.
Tu vois, KOK, - désolé c'est plus court et percutant que les trois mots de ton identité graphique – j'ai essayé de comprendre en te lisant ce besoin de te mettre en scène de cette façon. Il a fallu que j'arrive au bout de ma lecture pour arriver à l'évidence. le « tu » est direct et sans emphase, c'est un « tue » sans e, sans eux, les autres, qui pourraient te répondre, avec des arguments que tu ne pourrais réfuter, alors que ce petit bout de chou te laisse toutes les possibilités de t'exprimer sans retenue, de mettre tes pensées à nu.
Un « tu » sans e pour combattre la mort, pour encenser la vie.

Ton épilogue commence ainsi.

« Nous sommes aujourd'hui le 13 avril 2016, il est onze heures moins dix et je viens juste de finir d'écrire ce livre pour toi ».

Etonnant, non ? Même date, même heure, huit années plus tard.
Bon, d'accord, quand on choisit de lire un roman qui s'intitule « Au printemps », on s'arrange pour choisir l'époque correspondante. Mais la probabilité de tomber juste est infime. D'aucuns diront c'est le destin.
Mais pas que. Tu vois, KOK, tes mots me percutent, en plein coeur.

« Je ne maîtrise pas assez l'art de la conversation pour avoir des amis proches, d'autant plus que, étant en permanence dans l'introspection, ce que les gens ne manquent pas de remarquer, personne ne tente de pousser trop loin nos discussions. Pour peu que quelqu'un s'y essaie, en général, je rentre dans ma coquille ».

Faire l'escargot, c'est prendre le temps de sentir le monde, surtout quand on en bave. Alors, KOK, je comprends que tu te rattaches à des détails pour exprimer ta pensée, à de minuscules fragments qui peuvent sembler insignifiants, une observation minutieuse et une description parfaite de ton ressenti.

« En cette saison, l'ensemble était encore assez ténu, le paysage n'avait pas cette opulence que lui apportait l'été, le vert des arbres commençait tout juste à poindre, car le mois d'avril, c'est cela : des bourgeons, des germes, l'incertitude, l'hésitation. Avril se trouve entre le grand sommeil et le grand bond. Avril, c'est l'envie de passer à autre chose, sans que l'on parvienne à définir ce qu'est cette autre chose ».

C'est fou ce que le temps change ! En à peine une décennie, mars a pris la place d'avril. Aujourd'hui, tout est déjà en fleurs, la chaleur est arrivée, mais le dérèglement ne nous augure rien de bon, l'incertitude et l'hésitation sont toujours de mise.
Oui, KOK, tu as raison, c'est le sel de la vie de ne pas savoir à l'avance ce qui va se produire dans les secondes qui suivent. Entre hasard et nécessité, entre bazar et cécité. Heureusement, la nature nous promet chaque année le même renouvellement, bien que décalée qu'elle est.

« Au printemps, durant quelques jours, le paysage donne l'impression de s'ouvrir de toutes parts, dans les semaines qui précèdent le moment où la verdure explose pour de bon, quand les arbres sont encore dépourvus de feuilles, quand le sol demeure nu, ce qui pourrait laisser croire que l'on est toujours en hiver, tandis que le soleil brille avec l'abondance de l'été, sans buter sur le moindre obstacle, sans être absorbé par toutes ces choses qui poussent et qui, dès lors qu'elles sont là, forment des petits espaces à part entière. le paysage durant ces quelques jours au printemps ne semble plus rattaché à aucun lieu et le volume d'air sous le ciel traversé par cette lumière est intense ».

J'aurais aimé, KOK, ajouter plein d'autres extraits, pour montrer à quel point tu atteins la perfection descriptive. Par exemple, les quelques minutes passées dans le cabinet de curiosités, la minuscule pièce que toute personne normalement constituée visite plusieurs fois par jour. Il te faut deux pages et demi, de la 40 à la 42, pour exprimer ce qu'est ce moment intime. C'est pousser l'envie jusqu'au paroxysme, mais c'est un régal de sensations, visuelles surtout, faudrait pas croire que…
Alors, je choisis un autre extrait. Tu te souviens, lorsque tu as décidé de parler de ton voisin, celui qui habite au milieu de nulle part.

« Je levai les yeux vers lui alors que, au-dessus de moi sur les marches du perron, il tendait son visage vers le soleil. Il avait un foulard élégant noué autour du cou, un pull fin bordeaux et un pantalon de costume marron foncé trop large ; chez lui, l'élégant côtoyait l'élimé, et il en allait de même du dos droit et du corps affaissé, de la détermination et de l'hésitation, de l' enjouement et de l'inquiétude. Quand il se tenait ainsi sur les marches, droit comme un I et la tête levée vers le soleil, il émanait de lui une sorte de douce autorité naturelle, tandis que dans la cuisine, quand il préparait le café, son langage corporel exprimait plutôt l'incertitude, la fragilité, avec sa nuque courbée, son dos voûté, ses mains qui dévissaient la cafetière avec lenteur et hésitation, comme s'il se rappelait à peine comment faire ».

J'en profite, cher KOK, pour féliciter ta traductrice française, Loup-Maëlle Besançon, qui a su trouver les mots justes pour transcrire ta prose poétique.
Puisque c'est le moment des honneurs, quel délice de découvrir au fil des pages les illustrations d'Anna Bjerger, traits et couleurs tout en nuances, un accompagnement exquis.

Je sais, KOK, que tu t'es lancé dans un cycle autobiographique, le « Quatuor des saisons ».
Et que tu avais précédemment consacré six volumes à ta vie tumultueuse.
Et bien je vais te dire, cher KOK, que je vais m'en tenir là. D'abord, histoire de rester sur une bonne impression, et aussi parce qu'il y a tant à lire… J'espère que tu me comprendras, que tu ne m'en voudras pas d'avoir préféré le printemps pour te découvrir, juste un fil de ta vie, celui d'avril. Mais ne dit-on pas « en avril, ne te découvre pas d'un fil ».

Et bien, si, toi, tu t'es découvert, dans tous les sens du terme. Sous couvert d'explorer les merveilles de la nature au printemps, la lumière et la chaleur qui arrivent progressivement, tu t'es dévoilé à ta manière. Tu as retiré, au fur et à mesure de ton écriture, des couches de vêtements qui engonçaient ton corps. Oui, je sais, c'est difficile de parler de soi, de ses proches, de ses tourments. Sache, KOK, que tu l'as fait avec délicatesse et subtilité qui m'ont procuré de l'émotion.
Arrive le moment où je me dois de parler de l'histoire, de ton histoire.
Rassure-toi, je saurai moi aussi rester pudique. Je pense que tu accepteras que j'écrive que ça se passe en Norvège et Suède. Ces pays où le froid et la nuit occupent une bonne partie de l'année. Ce manque de lumière et de chaleur qui engendrent la mélancolie, au départ, la déprime, par la suite.
Tu as choisi de raconter une journée avec ton bébé, cette promiscuité indispensable, ce lien indéfectible, afin de te sentir moins seul pour exprimer ton ressenti sur l'incommunicabilité des êtres.
La difficulté des pères à exprimer leurs émotions, celle des hommes en général, surtout sur des sujets douloureux, car intimes.
Ce petit bout de vie à qui tu t'es confié, à qui tu souhaites une vie belle et accomplie, au milieu des autres, pas à côté.

« Tu comprends, la beauté de ce monde ne signifie rien si tu es seule sur terre .
Vivre est parfois douloureux, mais il y a toujours une raison de vivre.
Crois-tu que tu réussiras à t'en souvenir »?

Voilà, KOK, je n'en dis pas plus. Suggérer, pour inciter à te lire, à te comprendre.
13 avril 2024, la lumière et la chaleur sont avec nous. J'espère, KOK, que tu profites de ce moment.
Comme toi, « j'ai grandi dans un milieu qui a toujours usé des mots avec circonspection ».
Prendre la plume est parfois plus facile que prendre la parole.
Les deux s'envolent, au gré du vent.



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