« Birkenau, maintenant, c’est un décor .
Quelqu’un qui n’en connaît pas l’histoire peut ne rien voir.
D’ailleurs quand j’y retourne , je dis toujours aux élèves : « Surtout, fermez les yeux, ne regardez pas! . »
Et je leur répète : « Sous chacun de vos pas, il y a un mort ... »
La dernière fois que je suis retournée à Birkenau, c’était au printemps. Les champs se couvraient de fleurs, l’herbe était verte, le ciel limpide, on pouvait entendre les oiseaux chanter. C’était beau.
Comment puis-je employer un mot pareil ? Et pourtant, je l’ai dit ce mot, je l’ai pensé : « C’est beau. »
Au loin, j’ai vu cette silhouette qui remontait le long de la prairie. D’abord, je n’y ai pas cru, je me suis dit « ce n’est pas possible », mais c’était bien ça : une joggeuse. Elle faisait son footing, ici. Sur cette terre grasse et méconnaissable, qui avait vu tant de morts, dans cet air qui sentait le petit matin frais, la rosée. Elle courait, tranquillement. J’en ai eu le souffle coupé. J’ai eu envie de hurler, de lui crier : « Es-tu folle ? »
L’étais-je, moi ?
Il ne faut pas retourner à Birkenau au printemps. Quand les enfants jouent sur leur toboggan dans les jardins des petites maisons longeant l’ancienne voie ferrée qui menait au camp et à son funeste arrêt, la Judenrampe.
(Incipit)
Jusqu'ici, nous étions encore des êtres humains.
Nous ne sommes plus rien.
À cette époque, je n’éprouve pas le besoin de parler, ni à ma famille ni aux amis. Et quand on me demande comment ça s’est passé là-bas, je réponds : « si un jour, j’ai un enfant et que ça recommence, je l’étrangle de mes propres mains. » Et je le pense.
Birkenau, maintenant, c'est un décor.
Quelqu'un qui n'en connaît pas l'histoire ne peut rien voir.
D'ailleurs, quand j'y retourne , je dis toujours aux élèves : "Surtout, fermez les yeux, ne regardez pas !"
Et je leur répète : "Sous chacun de vos pas, il y a un mort."
Et je m'entends leur crier : "Papa, Gilbert, prenez le camion !"
C'est toujours ça qu'ils n'auront pas à faire à pied.
Je ne les embrasse pas. Ils disparaissent.
Ils disparaissent.
d'ailleurs, quand j'y retourne, je dis toujours aux élèves : "Surtout, fermez les yeux, ne regardez pas !" et je leur répète : " Sous chacun de vos pas, il y a un mort."
Perdre le moral, c’est précipiter la mort.
Moi-même, je le raconte, je le vois, et je me dis que ce n'est pas possible d'avoir survécu à ça. Je vois et je sens.
Mais vous, qu'est-ce que vous voyez ?
Aux élèves, je le répète : c'est la haine qui a fait ça, la haine à l'état pur. les nazis ont exterminé six millions de Juifs. Souvenez-vous de ce que vous avez trouvé impensable. Si vous entendez vos parents, des proches, des amis, tenir des propos racistes, antisémites, demandez-leur pourquoi. Vous avez le droit de discuter, de les faire changer d'avis, de leur dire qu'ils ont tort. (p95)