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Critique de Alzie


Un couple, celui de l'auteur et sa femme, roule vers un relais château en vilipendant le siècle de vitesse qui est le leur et se retrouvent hôtes d'un lieu qu'ils connaissent déjà au milieu d'un colloque d'entomologistes européens. Parmi ces éminents scientifiques reclus au château émerge à côté du couple, après quelques chapitres, la figure d'un savant tchèque oublié, découvreur d'une mouche inconnue, que sa mise à l'écart sous l'ère communiste a transformé en ouvrier musculeux du bâtiment. Complètent cette galerie un ou deux intellectuels français poseurs et donneurs de leçons épris de bons mots autant que de leur image, un jeune chevalier des temps modernes sympathique (Vincent) adepte de « La Philosophie dans le boudoir » et amoureux de sa moto (sa vraie maîtresse celle qui lui donne l'extase de la vitesse), son mentor inventeur du concept fameux de « judo moral », un cameraman frustré et deux jeunes femmes à fort potentiel érotique (Julie et Immaculata). Ce qui ressemble à une bouffonnerie exhibitionniste peu flatteuse digne du vingtième siècle finissant (ce que son titre est loin de suggérer et qui rend la (re)découverte plus savoureuse) devient au fil des pages une réflexion percutante sur une époque hantée par la quête du plaisir immédiat qui questionne sa finalité. le récit est court - le livre se lit très vite - et se déroule au cours d'une nuit très agitée, rythmé par le sommeil de Vera (la femme de l'auteur) entrecoupé de ses réveils. La mémoire de l'auteur rapidement sollicitée par la vision d'une autre nuit, précédant de deux siècles celle qu'ils sont en train de vivre, dont les personnages de l'hôtel ont l'air de rejouer le même motif. Superbe juxtaposition de scènes aux rythmes opposés offerte par le regard du romancier narrateur soulevant le rideau du temps au-dessus de deux époques : le dix-huitième et le vingtième siècles. La nouvelle de Vivant Denon, « Point de lendemain », agit comme sous-texte vivifiant à la fable contemporaine. À des personnages qui déploient en public la palette de leurs capacités narcissiques et sexuelles et leurs déboires burlesques entre le bar et la piscine de l'hôtel, Kundera oppose en contrepoint l'art et l'esprit révolu du libertinage. Une autre mise en scène, (parade) tout aussi sexuelle et codifiée, écrite par un gentilhomme ordinaire de la cour du roi et publiée la première fois sous couvert d'anonymat en 1777. Entre roman/farce et essai corrosif on est à cent lieues des précédents écrits de l'écrivain mais on reconnaît immédiatement dans La lenteur, en concentré, le ton unique qui est le sien. Direct, féroce, salace, un soupçon désenchanté, anti-lyrique. Avec ici en prime un côté malpoli ou incorrect dans les dialogues, jubilatoires à la relecture il faut dire, de ce premier livre écrit en français (1995). La portée des observations sur notre culte de l'efficacité, de la vitesse et de l'ego est toujours aussi vérifiable aujourd'hui. Au tempo disjoncté auquel sont soumis les personnages contemporains en présence dans le relais château, les séquences pondérées plus réflexives de « Point de lendemain » offrent la lente respiration du temps des cabinets secrets et de celui des carrosses et des chaises à porteurs, soulignent l'esprit épicurien d'un texte porté par le verbe et l'action sans souci de séduction par le style. Spirituel, fantasque et baroque avec de subtils apartés philosophiques, politiques et littéraires ou de plus joyeuses et loufoques digressions narratives. Nocturne d'une beauté totalement incongrue avivée par l'écho lointain magnifique et fantasmé du récit d'un autre siècle et qui s'achève comme lui au petit matin.

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