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sur 854 notes
Le narrateur – Milan Kundera lui-même – et sa femme Vera ont décidé de passer la soirée dans un château de campagne où se déroule un congrès d'entomologistes.
Deux cents ans auparavant, ces lieux ont été le théâtre d'un roman libertin de Vivant Denon intitulé « Point de lendemain » dans lequel un jeune gentilhomme passe une folle nuit d'amour en compagnie d'une belle Comtesse avant de s'apercevoir qu'il n'a été utilisé que pour détourner les soupçons du mari de la dame de son véritable amant ; « Madame de T avait besoin d'un paravent afin que le Marquis restât insoupçonné aux yeux du mari »…
A l'instar du jeune chevalier du XVIIIème, divers personnages participant au congrès vivent ce soir-là des évènements particuliers qui les affectent au plus profond d'eux-mêmes. Jeune entomologiste, Vincent désire faire un coup d'éclat mais ne parvient qu'à se ridiculiser auprès de la femme qu'il souhaite séduire ; un vieux savant tchèque dissident par lâcheté, prend douloureusement conscience de l'imposture et du dérisoire de sa vie ; tandis qu'une journaliste de télévision entend de la bouche de l'homme à qui elle voue un amour fantasmé, les pires mots qu'une femme amoureuse puisse entendre.
Alors que les personnages d'aujourd'hui ne désirent rien d'autre qu'oublier au plus vite les tristes évènements de la nuit, a contrario, le chevalier du XVIIIème cherche à prolonger la nostalgie du souvenir dans la lenteur du mouvement.

Cette pensée de l'oeuvre de Vivant Denon devient le point de départ d'une réflexion sur notre monde moderne où vitesse et oubli sont désormais les maîtres mots, à la différence du monde ancien, celui libertin, jouissif et épicurien du XVIIIème siècle, où l'homme prenait encore le temps de rêver, de séduire, d'aimer et de penser.
« Notre époque est obsédée par le désir d'oubli et c'est afin de combler ce désir qu'elle s'adonne au démon de la vitesse »
En partant de ce postulat, Milan Kundera inter-croise les histoires de ses personnages, fusionne les récits, ausculte les états d'âme et les réactions des uns et des autres, et entrelace les fils du temps pour tresser un singulier et surprenant ouvrage, où le fictif se fond au réel, où la réflexion philosophique se mêle au canevas de la fiction, où le roman se combine à l'essai, offrant ainsi une insolite variation sur le concept de « Lenteur », génératrice de mémoire, de beauté, d'esprit de liberté et de recherche hédoniste des sens.
C'est le premier texte écrit par Kundera directement en français ; des phrases brèves, minimales, qui vont puiser leur force dans leur sobriété, leur mesure, la justesse concise et nette de leur argumentation.

A travers une intrigue romanesque réduite à l'essentiel, l'écrivain tchèque pose avant tout un regard aiguisé sur notre époque contemporaine où l'homme moderne, en perdant la faculté de lenteur, a effectivement gagné en vitesse, mais a perdu dans l'éphémère de ses actions et ses pensées, la propension au bonheur et au plaisir dont la lenteur portait la marque.
Vitesse de locomotion, de l'image, de la science, de l'amour, des manifestations du désir…Vitesse bien souvent castratrice, dépassionnée, ne servant qu'à faire oublier à l'homme moderne son insignifiance, sa faiblesse, sa lâcheté, sa risible et pathétique tentative de s'imposer aux yeux des autres et du monde.
L'auteur ne cache pas non plus le désagrément que lui cause la constatation de l'appauvrissement politique et culturel de notre monde, une époque où le Paraître est plus important que l'Être, où les politiques ne sont que des « danseurs » prêts à toutes les fourberies pour grimper dans les sondages, une époque enfin où le pouvoir des médias, par le défilé continu d'informations sensationnalistes - une image forte chassant l'autre – réduit l'impact moral et la conscience collective de chacun d'entre nous en le dotant d'une mémoire passagère, provisoire, évanescente et corruptible car : « quand les choses se passent trop vite, personne ne peut être sûr de rien, de rien du tout, même pas de soi-même ».
« La Lenteur »…ouvrage léger, ironique et plaisant, entre roman et essai, qui, sous ses airs de galéjade et de plaisanterie littéraire, est un texte beaucoup plus profond qu'il n'y paraît auquel ne manque ni l'humour, ni la réflexion, ni les raisonnements à méditer.
Un éloge de la lenteur et un pamphlet contre l'ère de la vitesse à tout prix.
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Un couple, celui de l'auteur et sa femme, roule vers un relais château en vilipendant le siècle de vitesse qui est le leur et se retrouvent hôtes d'un lieu qu'ils connaissent déjà au milieu d'un colloque d'entomologistes européens. Parmi ces éminents scientifiques reclus au château émerge à côté du couple, après quelques chapitres, la figure d'un savant tchèque oublié, découvreur d'une mouche inconnue, que sa mise à l'écart sous l'ère communiste a transformé en ouvrier musculeux du bâtiment. Complètent cette galerie un ou deux intellectuels français poseurs et donneurs de leçons épris de bons mots autant que de leur image, un jeune chevalier des temps modernes sympathique (Vincent) adepte de « La Philosophie dans le boudoir » et amoureux de sa moto (sa vraie maîtresse celle qui lui donne l'extase de la vitesse), son mentor inventeur du concept fameux de « judo moral », un cameraman frustré et deux jeunes femmes à fort potentiel érotique (Julie et Immaculata). Ce qui ressemble à une bouffonnerie exhibitionniste peu flatteuse digne du vingtième siècle finissant (ce que son titre est loin de suggérer et qui rend la (re)découverte plus savoureuse) devient au fil des pages une réflexion percutante sur une époque hantée par la quête du plaisir immédiat qui questionne sa finalité. le récit est court - le livre se lit très vite - et se déroule au cours d'une nuit très agitée, rythmé par le sommeil de Vera (la femme de l'auteur) entrecoupé de ses réveils. La mémoire de l'auteur rapidement sollicitée par la vision d'une autre nuit, précédant de deux siècles celle qu'ils sont en train de vivre, dont les personnages de l'hôtel ont l'air de rejouer le même motif. Superbe juxtaposition de scènes aux rythmes opposés offerte par le regard du romancier narrateur soulevant le rideau du temps au-dessus de deux époques : le dix-huitième et le vingtième siècles. La nouvelle de Vivant Denon, « Point de lendemain », agit comme sous-texte vivifiant à la fable contemporaine. À des personnages qui déploient en public la palette de leurs capacités narcissiques et sexuelles et leurs déboires burlesques entre le bar et la piscine de l'hôtel, Kundera oppose en contrepoint l'art et l'esprit révolu du libertinage. Une autre mise en scène, (parade) tout aussi sexuelle et codifiée, écrite par un gentilhomme ordinaire de la cour du roi et publiée la première fois sous couvert d'anonymat en 1777. Entre roman/farce et essai corrosif on est à cent lieues des précédents écrits de l'écrivain mais on reconnaît immédiatement dans La lenteur, en concentré, le ton unique qui est le sien. Direct, féroce, salace, un soupçon désenchanté, anti-lyrique. Avec ici en prime un côté malpoli ou incorrect dans les dialogues, jubilatoires à la relecture il faut dire, de ce premier livre écrit en français (1995). La portée des observations sur notre culte de l'efficacité, de la vitesse et de l'ego est toujours aussi vérifiable aujourd'hui. Au tempo disjoncté auquel sont soumis les personnages contemporains en présence dans le relais château, les séquences pondérées plus réflexives de « Point de lendemain » offrent la lente respiration du temps des cabinets secrets et de celui des carrosses et des chaises à porteurs, soulignent l'esprit épicurien d'un texte porté par le verbe et l'action sans souci de séduction par le style. Spirituel, fantasque et baroque avec de subtils apartés philosophiques, politiques et littéraires ou de plus joyeuses et loufoques digressions narratives. Nocturne d'une beauté totalement incongrue avivée par l'écho lointain magnifique et fantasmé du récit d'un autre siècle et qui s'achève comme lui au petit matin.

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Avec « La lenteur », Milan Kundera écrit un roman beaucoup plus bref que ses précédentes oeuvres. C'est aussi son premier roman écrit directement dans la langue française, dans une langue épurée, précise, sans fioriture ni effet de style afin de mettre en avant le jeu des personnages. le décorum disparait, il y a unité de lieu, on est dans une pièce de théâtre, tragédie, comédie, l'action se déroule sur fond de page blanche.
Milan et Véra partent en week-end dans un château encerclé d'autoroutes, comme une retraite « in-utéro » où les protagonistes seraient protégés du tumulte de la vie, retraite idéale pour une réflexion. Ce château a une légende racontée par Vivant Denon, auteur du XVIIIe siècle, où une comtesse ramène dans son foyer un chevalier qu'elle affiche devant son mari comme son amant, alors que le vrai amant n'est autre qu'un marquis dont elle souhaite cacher l'identité.
Ce week-end est le prétexte pour Milan d'annoncer à Véra : « … Vouloir écrire un roman où aucun mot ne serait sérieux. Une Grande Bêtise Pour Ton Plaisir. » C'est aussi l'occasion de voir défiler une brochette de personnages au prétexte d'un colloque d'entomologistes.
L'auteur écrit : « Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l'oubli… le degré de la lenteur est directement proportionnel à l'intensité de la mémoire ; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l'intensité de l'oubli. » Il nous en fait la démonstration par le jeu des personnages, leurs interactions, leur état d'observateur ou d'acteur. Ils ont le défaut des politiques, d'être des « danseurs », gesticuler pour masquer la pauvreté de leur discours. Il nous met face à notre couardise devant la réalité crue du moment présent, que nous fuyons dans une course sans fin vers un meilleur sans doute illusoire. Cette fuite en avant serait l'artifice qui nous ferait oublier la fadeur du quotidien, nos accidents, nos erreurs.
On pourrait assimiler ce roman à la première partie d'un triptyque composé de « la lenteur », « l'identité » et de « l'ignorance ».
Postface de François Ricard.
Editions Gallimard, Folio, 183 pages.
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Milan Kundera est un auteur à tiroirs. Vous trouverez toujours dans ses livres quelque chose que vous n'aviez pas remarqué.

Paru en 1995, La Lenteur est son premier roman rédigé directement en Français. Il met en scène des personnages d'une nouvelle du 18ème siècle, (un chevalier, une Comtesse, un Marquis, un cocu), une journaliste amoureuse d'une célébrité, un congrès d'entomologistes et quelques trublions. Tout ça en un même chateau où l'auteur et son épouse passent la nuit.

Avec un sens aigu de l'anecdote, Kundera développe le ridicule des personnages et le grotesque des situations.
Du suicide raté de la journaliste hystérique suivie par son mari en pyjama jusqu'à l'entomologiste tchèque perdu dans ses émotions et dans les coutumes françaises, tout est dérision. L'auteur, qui veut écrire un livre où rien n'est sérieux, nous offre des dizaines de pages absolument savoureuses et d'une grande drôlerie. Des pages où, de l'entomologiste à la journaliste, du trublion à l' intellectuel prétentieux , chacun vient faire son tour de piste dans le petit halo de la célébrité et du ratage.

Toujours à l'exercice, Milan Kundera présente brillamment des situations paradoxales et des mots pris à contre-pied : une tentative de suicide gaie, un libertinage sexuel triste, un "dissident" héros par lâcheté. Comme à son habitude, il utilise les mésaventures de ses personnages pour se livrer à des réflexions et à des circonvolutions autour de la voix - la célébrité - les Liaisons Dangereuses et la divulgation des secrets - la quête du pouvoir - la lenteur et le bonheur.

Et du bonheur, les 183 pages de ce livre léger et agréable en regorgent. A recommander à ceux qui n'ont pas encore fait connaissance avec l'auteur, et que le statut de l'Insoutenable Légèreté de l'Être effraie.
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Contre l'avis prédominant, je n'ai pas vraiment accroché avec cet ouvrage. Pour être exacte, je me suis plus égarée que régalée dans cette lecture dans laquelle trois histoires se superposent les unes aux autres.

Tout commence par la venue du narrateur / auteur avec sa femme Véra dans un château pour y passer quelques jours. A cette première histoire vient se greffer, celle d'une nouvelle du XIIIe siècle dont l'auteur n'a été reconnu que très tard et dont l'intrigue se situe dans ce même château. L'histoire est celle d'une femme, Madame de T. , très libertine, qui trompe à la fois son mari et son amant mais également celui qui est l'amant de l'amant. Enfin, en parallèle de la première histoire ( je ne sais pas si vous me suivez toujours), se déroule également dans ce même lieu un congrès des entomologistes au court duquel un savant tchèque va à la fois se ridiculiser et retrouver un peu de sa superbe et dans la nuit qui va suivre, Vincent, lui, un ami du narrateur et un autre des protagonistes de ce roman, va perdre de lui toute estime.

Un roman qui fait une superbe éloge de la lenteur, il est vrai et qui est extrêmement bien écrit mais dans lequel je me suis un peu emmêlé les pinceaux. de plus, j'ai également trouvé, concernant, tout ce qui a un rapport avec l'acte sexuel évoqué dans ce livre qu'il y avait de nombreux passages vulgaires et grossiers et donc, pour ceux qui me connaissent un peu à travers mes critiques, savent que c'est bien là une chose à laquelle je suis extrêmement sensible, peut-être un peu trop, je le reconnais.

Pour avoir rencontré Milan Kundera il y a quelques années à la fête du livre d'Aix-en-Provence, je ne peux que flatter sa plume et son élocution mais je dirais simplement que je n'ai sûrement pas dû commencer par le bon livre !
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Pas grand-chose à dire. J'avais adoré les premiers romans de Kundera. Là, je n'ai pas adhéré du tout. Passé les trente premières pages, lecture en diagonale, passé plusieurs pages, et… pas envie de continuer. Comme avec Sollers il y a quelques jours. Et je ne veux pas me forcer. Peut-être n'est-ce-pas le bon moment ? Je ne parviens pas à suivre l'auteur dans sa fiction. Pas de fil conducteur, pas d'accroche. Bon ! Ce n'est que mon ressenti, rien de plus.
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Kundera est un écrivain déconcertant.
Il m'a affirmé que la lenteur allait de pair avec l'intensité de la mémoire.
Et comme pour enfoncer le clou, il m'a confirmé que la vitesse faisait un couple parfait avec l'intensité de l'oubli.
Alors, j'ai pris mon temps.
Un livre vite lu est souvent vite oublié.
Et pourtant, quelques semaines après avoir tourné la dernière page, que me reste-t-il vraiment de ces trois histoires superposées ?
Un chateau, des libertins, un colloque d'entomologistes, un personnage qui veut faire rayonner son moi, un autre qui se ridiculise en public et surtout beaucoup de questions.
Car comme pour "l'identité ", qui présente quelques similitudes dans la structure, j'ai eu la sensation que l'intrigue finissait par s'effacer au profit de la réflexion.
Ma propre mémoire, vexée de ne pas se montrer à la hauteur, s'en est trouvée fâchée.
Tant pis pour elle, j'ai préféré prendre le temps de la réflexion.

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Entre roman et essai, Milan Kundera nous promène entre le rappel du « point de lendemain » de « Vivant Denon », roman libertin qui se déroule il y a deux siècles et une rencontre contemporaine dans le cadre d'un congrès d'entomologistes, point d'orgue de l'ouvrage. Un éloge de la lenteur accompagné d'une ironie jubilatoire et libertine irriguent ce texte court qui prouve le grand talent de l'auteur et ravi le lecteur.
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L'auteur de l'ILE qui avait fasciné ma génération écrivait La lenteur, son premier roman en français, en faisant preuve d'une connaissance intime de notre langue et de notre littérature. En témoigne son ouverture sur Point de lendemain (voir la nouvelle de Vivant Denon dans Babelio) : « Et je pense à cet autre voyage de Paris vers un château de campagne, qui a eu lieu il y a plus de 200 ans, le voyage de Mme de T. et du jeune chevalier qui l'accompagnait. C'est la première fois qu'ils sont si près l'un de l'autre, et l'indicible ambiance sensuelle qui les entoure nait justement de la lenteur de la cadence : balancés par le mouvement du carrosse, les deux corps se touchent, d'abord à leur insu, puis à leur su, et l'histoire se noue ».

La lenteur est-elle un roman ? On y trouve l'art aristocratique d'une conversation lente et secrète, très dix-huitiémiste, une théorie du danseur, ce séducteur d'un public politique ou intellectuel (Baudelaire parlait d'histrion), l'illusion d'être élu, et encore le concept d'Actualité Historique Planétaire avec sa variante Sublime. Mais au milieu du roman le narrateur renoue avec le réel quand sa femme l'avertit : « Tu m'as souvent dit vouloir écrire un jour un roman où aucun mot ne serait sérieux. Une Grande Bêtise Pour Ton Plaisir. J'ai peur que le moment ne soit venu. Je veux seulement te prévenir : fais attention ». L'avertissement ne l'empêche pas d'écarter l'élégance ancien régime et le masque du moraliste pour bifurquer vers l'obscénité drolatique, et d'aménager la rencontre d'un misérable acteur de la comédie contemporaine avec le Chevalier anonyme de Denon. La lenteur est un roman.
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Milan Kundera est né à Brno (Tchécoslovaquie) en 1929. Il a donc 92 ans. Il a pu quitter son pays en 1975 pour la France, et a été déchu de sa nationalité par le régime communiste. François Mitterrand lui a accordé la nationalité française. Depuis 1995, il écrit ses livres en français. La Lenteur, aux 183 pages bien agréables à lire, est son premier roman écrit en français.
Avec un délicieux sens de l'anecdote, La Lenteur prolonge une réflexion sur la civilisation actuelle commencée dans l'immortalité. À travers les aventures de ses personnages, Kundera distille entre les lignes, avec beaucoup d'ironie, une philosophie qui oppose la lenteur, associée à la sensualité et à la pensée, et qui favorise la mémoire, à la frénésie de vitesse du monde contemporain, liée au besoin d'oubli et à l'éphémère. Mais pour le reste, ce roman diffère sensiblement de ses romans précédents.
Il commence sur une route de campagne où le narrateur et son épouse sont en route pour un vieux château où doit se tenir un congrès d'entomologie. La route est sinueuse, et dans le rétroviseur, un poursuivant qui n'arrive pas à le dépasser s'impatiente et «attend l'occasion pour me doubler ; il guette ce moment comme un rapace guette un moineau». Dès la première page ce petit détail amène ainsi le thème de la vitesse!
Le château en question fut deux cents ans plus tôt le théâtre d'un roman fort libertin, Point de lendemain, de Vivant Denon, où une comtesse, Madame de T., s'offrit à un chevalier. «Les deux corps se touchent, d'abord à leur insu, puis à leur su, et l'histoire se noue». Se promenant ensuite par une «nuit enlunée», la belle lui recommande «la discrétion qui, de toutes les vertus, est la vertu suprême». Elle lui explique avec beaucoup de naturel comment il devra se comporter le lendemain avec son mari, car - hélas pour le chevalier - il ne sert dans ce monde libertin que de paravent pour détourner de son véritable amant, les soupçons du mari qui doit arriver le jour suivant. C'est donc pour la bonne cause qu'elle trompe non seulement son mari mais aussi son amant, mais «leur nuit devait rester sans lendemain et ne pourrait se répéter que dans le souvenir».
Après cela, le roman revient dans le présent. Une fois les congressistes arrivés, les aventures se succèdent, et les nuits du narrateur alternent rêve et réveils permettant de passer d'un siècle à l'autre et du fantasme à la réalité, avec quelques passages érotiques comme cette citation d'Apollinaire dont j'ai tronqué les mots les plus crus «la 9ème porte de ton corps… la suprême porte… tunnel par où passent les générations».
L'un des personnages d'aujourd'hui, Vincent, n'a comme maitresse qu'une moto lui offrant l'extase de la vitesse, à l'opposé de notre gentilhomme du XVIIIème qui cultive la lenteur lui permettant de prolonger son souvenir nostalgique. «Notre époque est obsédée par le désir d'oubli et c'est afin de combler ce désir qu'elle s'adonne au démon de la vitesse».
D'autres personnages viennent faire un tour de piste. Retenons par exemple ce savant tchèque qui avait découvert une nouvelle variété de mouche, et qui, après l'invasion des Soviétiques en 1968, fut chassé de l'institut où il travaillait, et réduit à être ouvrier du bâtiment. Pour lui, le congrès est son grand retour international à l'entomologie après 20 ans de punition. Il a préparé une brève communication scientifique mais commence par livrer au public sa joie de se retrouver parmi ses pairs après un aussi long purgatoire. le héros malgré lui est applaudi et tellement ému qu'il quitte la tribune en oubliant de lire sa communication.
Ce livre de Kundera ne pourra que vous donner envie de lire ses autres ouvrages, comme par exemple L'Insoutenable légèreté de l'être qui a été porté à l'écran.
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