"Est-on vivant quand vivent d'autres hommes? " Dans la question de Goethe se dissimule tout le mystère de la condition d'écrivain : L'homme, du fait qu'il écrit des livres, se change en univers (ne parle t-on pas de l'univers de Balzac, de l'univers de Tchekhov, de l'univers de Kafka?) et le propre d'un univers, c'est justement d'être unique. L'existence d'un autre univers le menace dans son essence même
La graphomanie (manie d'écrire des livres) prend finalement les proportions d'une épidémie lorsque le développement de la société réalise trois conditions fondamentales :
1) un niveau élevé de bien-être général qui permet aux gens de se consacrer à une activité inutile
2) un haut degré d'atomisation de la vie sociale et, par conséquent, d'isolement général des individus
3) le manque radical de grands changements sociaux dans la vie interne de la nation (de ce point de vue, il me paraît symptomatique qu'en France où il ne se passe pratiquement rien, le pourcentage d'écrivains soit vingt et une fois plus élevé qu'en Israël)
Cette phrase, "c'et out à fait comme moi, je..." semble être un écho approbateur, une manière de continuer la réflexion de l'autre, mais c'est un leurre : en réalité c'est une révolte brutale contre une violence brutale, un effort pour libérer notre propre oreille de l'esclavage et occuper de force l'oreille de l'adversaire
Je disais à ma soeur, ou elle me disait, tu viens, on joue à rire? On s'allongeait côte à côte sur un lit et on commençait. Pour faire semblant, bien sûr. Rires forcés. Rires ridicules. Rires si ridicules qu'ils nous faisaient rire. Alors il venait, le vrai rire, le rire entier, nous emporter dans son déferlement immense. Rires éclatés, repris, bousculés, déchainés,rires magnifiques, somptueux et fous...Et nous riions à l'infini du rire de nos rires....
On ne veut être maître de l'avenir que pour pouvoir changer le passé. On se bat pour avoir accès au laboratoires où on peut retoucher les photos et récrire les biographies et l'Histoire
L’invention de la presse à imprimer a jadis permis aux hommes de se comprendre mutuellement. A l’ère de la graphomanie universelle, le fait d’écrire des livres prend un sens opposé : chacun s’entoure de ses propres mots comme d’un mur de miroirs qui ne laisse filtrer aucune voix du dehors.
Jan se dit : Au commencement de la vie érotique de l'homme il y a l'excitation sans la jouissance, et à la fin il y a la jouissance sans excitation.
C'est dans les dossiers des archives de la police que se trouve notre seule immortalité.
La constitution, il est vrai, garantit la liberté de parole, mais les lois punissent tout ce qui peut être qualifié d'atteinte à la sécurité de l'Etat. On ne sait jamais quand l'Etat va se mettre à crier que cette parole-ci ou cette parole-là attente à sa sécurité.
La lutte de l'homme contre le pouvoir est la lutte de la mémoire contre l'oubli.