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François Kérel (Traducteur)Elizabeth Turner Pochoda (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070370436
353 pages
Gallimard (19/07/1978)
4.05/5   1072 notes
Résumé :

L'univers absurde d'une station thermale spécialisée dans le traitement de la stérilité sert de décor à cette valse mi-tragique, mi-grotesque. Dans cette lutte éternelle entre les visions masculine et féminine de l'existence, avec un sens aigu de la dérision, Kundera nous invite à une parenthèse dialectique dont les deux volets, mouvement et immobilité, ne sont qu'une traduction des deux pôles identitaires qui sous-tendent toute son oeuvre : l'individu et le... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (45) Voir plus Ajouter une critique
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« A première vue, les romans et nouvelles de Kundera sont assez inoffensifs. Il serait donc possible de les lire comme de bonnes histoires, sans plus. Sauf que le lecteur ne peut échapper à une certaine perplexité ni à la conscience d'être en présence d'un récit grinçant, illusoire, truqué. »

François Ricard

Grinçant, illusoire, truqué…tous les récits de Kundera procèdent à une mise à nu, dépouillant les événements et les êtres de leur réalité ou de ce qui en tient lieu, afin d'en révéler le caractère factice et trompeur. La valse aux adieux, avec son unité de lieu et son décor de carton pâte — une ville d'eaux dans la Tchécoslovaquie communiste — sa déclinaison sur cinq journées et ses personnages automates se croisant, se heurtant et s'accouplant en une ronde qui donne le vertige, en est l'illustration particulièrement virtuose.
Le lecteur croit d'abord être en présence d'une intrigue assez anodine qui n'évite pas certains clichés : Un sémillant trompettiste à succès aimé d'une femme d'une beauté bouleversante et d'une jalousie maladive, multiplie les conquêtes d'un soir. Une jeune infirmière mesquine et opportuniste utilise sa grossesse non désirée comme instrument de chantage. Un gynécologue débonnaire et humaniste dévoue sa vie à l'infertilité des couples mariés. Un ancien prisonnier politique convaincu de sa supériorité morale jette sur la masse de ses congénères un oeil amusé et désabusé … etc…
Sauf que derrière la mine conquérante du séduisant trompettiste se cache un couard qui se liquéfie de terreur à l'idée que sa femme puisse apprendre qu'il en a engrossé une autre.
Sauf que derrière la face obtuse de l'infirmière se niche une fille douce, incandescente prête à éclore sous les caresses d'un homme qui sait aimer les femmes.
Sauf que sous son air de doux rêveur et d'homme dévoué à une juste cause, le gynécologue pourrait en réalité cacher de dangereux projets eugénistes.
Sauf que la prétendue grandeur d'âme de l'ancien prisonnier politique se révèle être un leurre, l'habillage d'un cynisme sans rémission : l'homme valeureux, version parodique du Raskolnikov de Crime et châtiment, est un assassin comme tous les hommes :
« Et de nouveau il se souvint qu'il avait glissé du poison dans le tube de médicaments d'une inconnue et qu'il était lui-même un assassin. (…) Et il songea qu'il n'avait lui-même aucun droit privilégié à la grandeur d'âme et que la suprême grandeur d'âme c'est d'aimer les hommes bien qu'ils soient des assassins. »

La fascination qu'exerce sur moi cette oeuvre unique insidieusement subversive, dont les réflexions philosophiques et existentielles se mêlent avec un naturel et une élégance rares à une intrigue parfaitement maîtrisée, est exactement la même qu'il y a vingt ans. Amusée, subjuguée, inspirée, perplexe mais aussi attendrie et émue, je me coule dans les textes de Kundera avec la promesse renouvelée d'être presque à coup sûr conquise. Si ses livres sont dominés par une ironie mordante traduisant une vision du monde et de l'humanité radicalement désenchantée avec laquelle je me sens profondément en accord, ils sont régulièrement traversés par des fulgurances qui ont le pouvoir de m'émouvoir aux larmes. Je crois n'avoir jamais lu de pages plus bouleversantes sur la mort d'un chien, fidèle compagnon des jours heureux, que celles qui clôturent L'insoutenable légèreté de l'être, ni n'avoir souvent rencontré des propos aussi justes pour évoquer l'amour, la beauté ou les douleurs de l'exil.
« La veille encore, il pensait que ce serait un instant de soulagement. Qu'il partirait d'ici avec joie. Qu'il quitterait un lieu où il était venu au monde par erreur et ou, en fait, il n'était pas chez lui. Mais à cet instant, il savait qu'il quittait son unique patrie et qu'il n'y en avait pas d'autre. »

Je crois qu'existe la conviction chez Kundera que même les sentiments les plus forts, les plus intenses, sont précaires car adossés à une fiction, ou plutôt à des fictions, celles dont nous tissons nos vies et qui, tôt ou tard, se désagrègent et tombent en poussière. Cela n'enlève rien à la profondeur ou à la réalité de nos sentiments : ce que nous éprouvons, nous l'éprouvons intensément dans notre âme et dans notre corps. Mais rien de ce qui les suscite n'est amené à durer, rien de ce qui les provoque n'est véritablement réel, ou plutôt le réel, sans cesse remodelé par notre imagination, est un objet fuyant, intangible et inconstant.
Ainsi Jakub dans La valse aux adieux, qui dédia toute sa jeunesse à l'engagement politique, s'interroge non pas même sur le bien-fondé d'un engagement qui faillit lui coûter la vie et qui le pousse à présent sur le chemin de l'exil, mais sur la réalité même de l'objet de son combat :

« Il croyait toujours écouter le coeur qui battait dans la poitrine du pays. Mais qui sait ce qu'il entendait vraiment? Était-ce un coeur? N'était-ce pas qu'un vieux réveil? Un vieux réveil au rebut, qui mesurait un temps factice? Tous ses combats politiques étaient-ils autre chose que des feux follets qui le détournaient de ce qui comptait? (…) Et s'il avait vécu dans un monde entièrement différent de ce qu'il imaginait? Et s'il voyait toute chose à l'envers? »

Ainsi la jeune et belle Kamila, dont la jalousie obsessionnelle, tel un phare dardant ses rayons intenses sur son époux infidèle, fait de lui un être unique parmi la multitude des autres hommes, s'interroge sur ce qu'il restera de son amour si ce phare (fabriqué par son imagination) venait à s'éteindre.
« Était-ce vraiment l'amour qui l'enchaînait à Klima ou seulement la peur de le perdre? Que restait-il de cet amour sinon la peur? Et que resterait-il, si elle perdait cette peur? »

Je remercie une fois encore mon indéfectible complice Bernard (@Berni_29) avec lequel j'ai aimé partager cette lecture stimulante, enthousiasmante et jubilatoire.

« Kundera ne détruit pas le monde avec fracas : il le défait pièce par pièce, méthodiquement et sans bruit, comme un agent secret. À la fin, rien ne s'écroule, aucune ruine ne jonche le sol, aucune déflagration ne se fait entendre, et les choses ne semblent nullement changées : vidées plutôt, factices, fragiles et frappées d'une irréalité définitive. »

François Ricard
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Avec l'année nouvelle viennent les bonnes résolutions !
Deux ans sur Babelio et pas la moindre critique à mon compteur d'auteurs tels Michel del Castillo, Romain Gary, Milan Kundera, Vladimir Nabokov que je lisais avec délectation dans les années 80.
L'année 2015 sera en partie consacrée aux relectures : il me semble important de présenter aux plus jeunes des romans intemporels un peu tombés dans l'oubli, victimes en quelque sorte de la course à la nouveauté.

“La valse aux adieux”, dont l'écriture remonte au début des années septante, est le dernier roman écrit par Milan Kundera sur le sol tchécoslovaque. Quelques années plus tard, en 1975, il quittera “un pays qui ne veut plus de lui” pour s'installer en France.
Depuis la fin du Printemps de Prague, l'écrivain n'a de cesse de dénoncer le néo-stalinisme ambiant. “La valse aux adieux” ne déroge pas à la règle : la chape de plomb qui s'est abattue sur le pays durant l'été 1968 est présente en filigrane tout au long de l'intrigue.

L'espace temps de ce roman n'excède pas cinq jours et se déroule au sein d'un havre de paix, en l'occurrence une ville d'eau au charme désuet. De par l'enchevêtrement des relations entre les huit personnages principaux, les premiers chapitres donnent l'impression trompeuse d'une comédie de boulevard saupoudrée de marivaudage.

Dans cette station thermale où l'essentiel des curistes se compose de femmes en recherche de fécondité, ne voilà-t-il pas que la plus jolie des infirmières, Ruzena, est enceinte. Elle n'en est pas certaine mais se persuade que le géniteur est un trompettiste de renom, Klima, avec lequel elle a passé la nuit qui suivait le concert donné dans la petite ville quelques semaines auparavant.
Ruzena se garde bien d'annoncer à son petit copain Frantisek, le mécanicien, ce début de grossesse et choisit au contraire d'appeler au téléphone le trompettiste pour lui annoncer l'heureux événement.
La réaction catastrophée du musicien est le point de départ d'un drame ahurissant qui surviendra quatre jours plus tard. Personne, pas même la police, ne comprendra vraiment de quoi il en retourne.
Seul le lecteur, guidé d'une main de maître par un auteur retors au possible, sera au courant des tenants et aboutissants d'une tragédie dans laquelle le hasard et la malchance se taillent une place de choix.

Milan Kundera ne s'embarrasse pas de complaisance avec ses personnages et met l'accent sur les aspects les moins agréables de leur personnalité. S'il est une constance qui se dégage de ses différents romans, c'est bien sa défiance des relations par trop fraternelles. L'incommensurable légèreté de l'être humain empêchera toujours l'illustre écrivain d'accorder une confiance aveugle à son prochain.

Laissez-vous entraîner dans cette valse endiablée à cinq temps, il est important de commencer 2015 du bon pied !

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Aimez-vous les villes d'eaux au charme suranné, aimez-vous leur clientèle féminine, fidèle, immuable, comme si ces dames lascives et désinvoltes, allongées sur le carrelage kitch d'un établissement de bain, appartenaient à jamais au paysage, finissant par lui ressembler, s'y fondre même ?
Dans le roman dont je vais vous parler, j'ai découvert la féerie désuète des villes d'eaux, ces lieux suspendus hors du temps. Ici des femmes qui ne peuvent pas avoir d'enfants espèrent trouver dans ces eaux thermales la fécondité tant attendue.
J'ai l'impression que les villes d'eaux se ressemblent toutes, surtout dans le début de ces années soixante-dix, dans la France de Pompidou, en Suisse, en Belgique, en Allemagne, tiens et pourquoi pas dans la Tchécoslovaquie de l'époque... Allons-y gaîment !
Tout part d'une histoire anodine. La première journée raconte un fait aussi simple que banal, que l'on pourrait presque attribuer au théâtre de boulevard : de passage dans une ville d'eaux pour un concert, un célèbre trompettiste, Klima, a rencontré une jolie infirmière, Ruzena, et a couché avec elle, avant de repartir pour la capitale et de l'oublier aussitôt. Mais l'infirmière le relance, lui téléphone, en se déclarant enceinte de lui.
Le musicien panique aussitôt, car il craint de voir s'écrouler son mariage avec la belle Kamila et cherche un moyen de se tirer de ce mauvais pas. Il décide alors de se rendre dans la ville d'eaux...
Vous en conviendrez, il vous faut bien plus que cela pour vous hameçonner à ce roman de Milan Kundera, supposé être son dernier avant qu'il ne s'exile en France en 1975, précisément à Rennes, je glisse cela au passage et très discrètement pour les amis bretons.
La lecture de la valse aux adieux pourrait déjà se suffire à cette seule intrigue ordinaire. Mais il y a bien autre chose et on peut lire ce roman de plusieurs autres manières.
Viennent alors d'autres personnages, comme si cela ne suffisait pas... Ils seront huit au total à entrer en scène.
Huit personnages en quête de sens, leurs trajectoires se croisent dans une même unité de temps, de lieu et d'action, tout se passe en cinq jours dans un savant entrecroisement d'intrigues, entrecoupé par le voyage d'un petit comprimé bleu presque inoffensif qui traverse le récit, rebondit de chapitre en chapitre jusqu'à ce que le rideau se referme...
Je ne vais pas vous les présenter tous, quoique certaines, ici ou là, - surtout là, vaudraient la peine qu'on s'y attarde de près...
Cependant, laissez-moi vous parler de ce formidable gynécologue, le bon Dr Streka, rêveur, idéaliste, humaniste oserais-je tenter, qui a une façon très particulière de régler les problèmes de stérilité de ses patientes.
Non, non, vous n'y êtes pas du tout...
« Guidée par le seul désir de perpétrer l'espèce, l'humanité finira par s'étouffer sur sa petite terre. »
Un personnage se détache peu à peu, au-dessus de la mêlée, celui de Jakub, prisonnier politique récemment libéré, c'est un homme épris d'une sagesse grave, pessimiste, dont je ne serais pas étonné qu'on vienne me chuchoter à l'oreille, - mais pardi ! qui donc vient ici me le chuchoter à l'oreille ? - que l'auteur y a peut-être mis un peu de lui. Dissident à quelques heures de l'exil, il traverse le récit avec une sorte de hauteur crépusculaire, presque christique.
Tout se tient dans ce petit territoire désuet à souhait aux allures d'un royaume en fin de règne. Milan Kundera en fait un lieu romanesque, un monde à part où les personnages ne correspondent pas forcément à l'image qu'ils offrent d'eux au premier abord.
Alors brusquement, c'est le grain de sable dans l'engrenage, tout déraille, tout s'accélère, tout échappe à l'ordre des choses, tout n'est que retournements de situations, rebondissements, quiproquos, imprévus...
Alors brusquement le récit se métamorphose en une histoire de dupes et de tromperies, de jalousies et de rancoeurs, tenu par un fil conducteur qui va couturer le destin de ces huit personnages.
C'est comme si les sources thermales étaient brusquement ensorcelées.
Le récit aux allures d'une farce romanesque débridée n'était peut-être qu'un prétexte pour nous raconter une autre histoire. Milan Kundera y invite alors la complexité tumultueuse du monde dans des scènes savoureuses, d'un cynisme à peine déguisé, oscillant entre la comédie et la tragédie.
Certes cela suscite un plaisir truculent et je ne m'en suis pas privé, mais j'y ai trouvé aussi autre chose...
J'ai trouvé dans ce roman construit en chassés croisés, pour ne pas dire en triangles amoureux multiples, quelque chose qui se tient à mi-chemin entre le théâtre de vaudeville, la farce grotesque et la fable philosophique du XVIIIème siècle.
Derrière le style léger, j'ai soulevé le rideau pour entrevoir le ton grave et peut-être que l'ironie qui s'invite dans le récit aide à mieux prendre en dérision l'envers d'un monde désincarné, en perdition.
C'est un territoire où certains personnages évoluent comme des fantômes, des survivants d'un monde en carton-pâte qui n'existe peut-être déjà plus. Ils sont à la fois désenchantés, touchants, ridicules dans ce simulacre d'histoire.
Derrière l'ironie on n'est jamais loin de la tragédie de l'humanité.
La valse aux adieux ressemble alors à une danse macabre.
Est-ce une satire politique, celle d'un régime totalitaire qui a malheureusement encore de beaux jours devant lui ? Ici une chasse à l'homme a été remplacée par la chasse aux chiens errants par des vieillards pitoyables et grabataires, parce qu'ils n'ont plus que des bêtes inoffensives désormais à faire plier sous le joug de leurs bâtons noueux...
Il me faut peut-être tenter de chercher la réponse dans les multiples thèmes abordés par ce roman complexe à bien des égards. Mais quels sont-ils ?
La nature de l'existence ?
L'ironie du destin ?
L'illusion ?
La fatalité ?
Le mensonge ?
Un Dieu qui n'existerait plus ?
Le hasard ?
Il y a dans ce roman une oscillation entre le désenchantement et le sacré. Quelque chose de biblique, comme si cette lumière bleue qui se promène tout au long du récit était autant l'expression d'une joie divine, paisible et douce qu'un feu follet assoiffé d'amour et de vertiges.
Il y a des parenthèses qui ressemblent autant à des respirations vers le ciel qu'à des trous béants vers les ténèbres.
Le hasard est sans doute le personnage principal du roman, - mince il y aurait donc un neuvième invité ? - le hasard et ses diaboliques enchaînements. Certes, il y a le hasard, mais il faut être prédisposé à accueillir ce hasard et à en faire quelque chose de possible, je le dis comme cela sans arrière-pensée, moi qui aime citer à tire-larigot cette fameuse citation de Paul Éluard depuis que je la connais : « Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous. »
Ici Milan Kundera, qui ne recule devant rien, déboulonne des statuts sans concession, la maternité, la procréation, la fidélité, la vérité, la religion, l'espoir en un monde meilleur... La foi en l'humanité.
Dans sa vision cruelle du malheur, Milan Kundera nous livre alors une satire de l'humanité.
« le désir d'ordre est en même temps désir de mort, parce que la vie est perpétuellement violation de l'ordre. »
Je me suis alors demandé si la question de procréer ou d'avorter dans un monde totalitaire avait un sens. L'Histoire montre que dans ces régimes les femmes portent le lourd fardeau de la stérilité, comme un doigt accusateur.
« C'est pourquoi il est inutile de chercher le moindre argument rationnel dans la propagande nataliste. Est-ce la voix de Jésus qui se fait entendre, selon vous, dans la morale nataliste de l'Église, ou bien est-ce Marx que vous entendez dans la propagande de l'État communiste en faveur de la procréation ? Guidée par le seul désir de perpétuer l'espèce, l'humanité finira par s'étouffer sur sa petite terre. Mais la propagande nataliste continue de faire tourner son moulin et le public verse des larmes d'émotion quand il voit l'image d'une mère allaitant ou d'un nourrisson grimaçant. »
Par-delà la réflexion sur les régimes totalitaires, peut-être que Milan Kundera me donne envie de tenter cette question : qu'est-ce qui incite à vouloir un enfant dans un monde désenchanté, sans repère, sans futur...
Le style de Milan Kundera est très ironique dans cette vision du malheur et il ne faut à aucun moment y chercher une quelconque morale.
L'amour alors peut-être échappe à ce carnage subversif. L'amour et ses multiples formes qui peuvent sauver le monde, nous hisser vers la suprême grandeur d'âme, que nous soyons innocents ou assassins...
Je m'éloigne des dernières pages du livre, l'incandescence du désir de Ruzena n'est déjà plus qu'un lointain souvenir qui continue de fourmiller et brûler dans le ventre. Je suis tenté de suivre dans ses pas fugitifs l'ombre de Jakub qui ne se retournera pas une seule fois sur sa route, je le sais déjà et c'est mieux ainsi...
Voilà ce que je peux vous livrer ce soir comme ressenti sur ce roman autant truculent qu'énigmatique, dans sa perplexité grisante auquel je n'ai pu échapper.
Mais bon sang, où ai-je mis ma petite pilule bleue ?

Je remercie une fois encore ma fidèle complice Anna (@AnnaCan) avec laquelle j'ai cheminé dans cette lecture inspirante et jubilatoire. Sa connaissance approfondie de l'univers littéraire de l'auteur fut un élément riche et déterminant dans ce chemin partagé.
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Roman et musique ne font qu'un pour Milan Kundera. Pour lui l'intrigue et la symphonie se composent de la même manière et les personnages doivent jouer chacun avec son instrument avec des variations sur le même thème (musical). le même morceau est joué par différents instruments.

Dans ce roman, le sort réunit plusieurs personnages dans une ville d'eaux. le sort ou peut-être un hasard qui a donné une grossesse à Ruzena du musicien célèbre Klima qui trompe sa femme pour mieux sentir son amour pour elle, pour lui revenir après avec une dose d'amour plus forte. Mais il faut trouver une solution à cette fécondité en plein lieu de stérilité où des femmes se soignent chez l'extraordinaire docteur Skreta pour avoir des enfants, ce dernier leur trouve une solution efficace en introduisant son sperme dans leurs entrailles. Dans le même entourage on trouve Jakub aux opinions nihilistes qui cherche sa liberté dans le contrôle de la mort, et le vieux riche Bertlef qui s'avère lui aussi un séducteur malgré ses idées dignes d'un saint.

Admirateur de Diderot dans son Jacques le fataliste, Kundera théâtralise son roman avec ces nombreux dialogues révélateurs des idées et des sentiments de ses personnages dont il maîtrise la psychologie avec profondeur. On y trouve d'ailleurs de très belles réflexions sur la mort, la liberté, la femme, la fécondité, la culpabilité.

La valse qui réunit ces personnages s'accélère jusqu'au dernier moment avec une tension forte où le tragique même est raconté avec un sourire. Ainsi les idées les plus graves sont exprimées avec une légèreté surprenante (surtout lorsqu'elles sont déclarées par Skreta au nez long, comme la plupart des enfants de la ville).

Personnellement j'ai beaucoup aimé ce livre (comme pour les autres livres de Kundera).
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Un court roman de Kundera, avec toujours cette écriture si fluide, publié en France en 1976, et que je viens de relire.
De tous les romans de l'auteur, j'ai plus d'affinité pour l'humanité de L'insoutenable légèreté de l'être ou de la Plaisanterie, ou encore de l'identité ou même de l'immortalité, relu récemment.
Mais La Valse aux adieux, ce roman cruel et énigmatique, demeure pour moi, qui relis toutes ses oeuvres, le chef-d'oeuvre de la construction et de l'écriture, mais aussi celui dont le sens me demeure le plus énigmatique, même à l'issue d'une relecture et cela malgré l'excellente postface de François Ricard.

Incroyable construction de ce texte, un récit marqué par l'unité de lieu et de temps, une intrigue presque totalement linéaire, un découpage en cinq journées comme les 5 actes d'une pièce de théâtre, et les points de vue successifs des différents protagonistes, un rythme qui s'accélère progressivement jusqu'à la fin tragique, (comme dans le déroulé de la Valse de Ravel) c'est vraiment prodigieux, je trouve.
On se prend à regretter que Kundera n'ait pas plus écrit, mais parfois la qualité prime sur la quantité.

Dans ce roman, le lecteur est plongé dans les cinq jours de la vie de huit personnages, dans une petite ville plutôt bourgeoise, au charme vieillot, une sorte de décor de « carton-pâte » bien éloigné de l'idée, me semble-t-il, que l'on se faisait alors des villes du bloc de l'Est, avec une station thermale où les femmes viennent soigner leurs problèmes de stérilité.

Je ne raconterais pas l'intrigue époustouflante de cette farce cruelle, extravagante, absurde, où, avec désinvolture, l'auteur nous mène jusqu'à la mort d'une des protagonistes.
Je dirais simplement que l'auteur nous conduit de façon admirable dans un tourbillon de mensonges et de tromperies, qui me rappelle Feydeau, à ceci près que l'intrigue et son issue sont bien plus grinçantes et que c'est, en définitive, une comédie de la mort qui se joue devant nous.

Mais derrière cette farce, Kundera, comme toujours, nous amène, sur le mode de la désinvolture et de l'ironie, à tant de questions qui lui sont chères: le désenchantement d'un monde qui a perdu ses repères, l'incommunicabilité entre les êtres humains, la question de la pertinence de la procréation dans un monde sans espoir, le lien entre la haine et le désir d'ordre (à méditer en ces temps troublés), la vie et la mort.

Mais cette deuxième lecture m'a aussi laissé perplexe quant au rôle qu'y jouent trois personnages étranges, Jakub, le prisonnier politique récemment libéré qui s'apprête à quitter le pays, Bertlef, l'américain d'origine tchèque, très malade, en villégiature pour accompagner sa femme qui soigne sa stérilité et qui prévoit de repartir en Amérique, et enfin le docteur Skreta, le médecin responsable de l'établissement, et dont comprend qu'il utilise son sperme pour soigner la stérilité de ses patientes.

Au delà des intrigues amoureuses, plutôt loufoques, de quatre personnages, avec leurs triangles plus ou moins classiques, d'une part le mari Klima , la femme Kamila jalouse, l'amante Ruzena et l'autre triangle , Klima, Ruzena et l'amant de celle -ci, Frantizek, au delà du rôle mineur joué par Olga, la jeune protégée de Jakub, qui va choisir de découvrir le sexe avec son tuteur, la place de ces trois personnages, Jakub, Bertlef, et Skreta, étrangers aux intrigues des autres protagonistes, m'est apparue très ambigüe et énigmatique.

Le docteur Skreta, cet étrange gynécologue qui, considérant que les problèmes de stérilité d'un couple sont le plus souvent dus à l'homme, insémine les femmes avec son propre sperme, qui cherche à se faire adopter par Bertlef, est-il un doux rêveur ou un eugéniste dangereux?
Et Jakub, qui vient faire ses adieux dans la petite ville, d'abord à son ami Skreta, auquel il vient rendre un comprimé bleu mortel, que Skreta lui avait fabriqué, au cas où il aurait voulu échapper à la torture, et puis, à sa protégée, Olga, qu'il soutient depuis la mort de ses parents, est-il seulement cet homme désabusé et misanthrope, qui a perdu totalement confiance en l'être humain, à la suite des traitements qu'il a subi, ou un homme transformé par la révélation de la beauté féminine, celle de Kamila, ou encore le messager inhumain de la mort avec son comprimé bleu?
Et enfin, Bertlef, cet américain malade, quel personnage ambigu, impossible à cerner, à la fois un mystique et un jouisseur. Est-il le seul homme bon du roman, un saint qui irradie une lumière bleue, ou une sorte de manipulateur surnaturel comme le Prospero de la Tempête, qui sait le sort qui est réservé à Ruzena, lui disant qu'il est « venu à temps », comme s'il savait que la nuit qu'elle passe avec lui est sa dernière.

En conclusion, La Valse aux Adieux, quel récit prodigieux, mais aussi, en ce qui me concerne, quel jeu déconcertant l'auteur joue avec son lecteur; mais ceci finalement n'est pas pour me déplaire; si tout nous était donné, quel plaisir y aurait-il encore à (re)lire ce livre?
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Citations et extraits (140) Voir plus Ajouter une citation
Tout en refusant de procréer, Jakub aimait les enfants : " Vous avez un joli petit garçon, dit-il.
- Il est marrant, dit la femme. Je ne sais de qui il tient ce grand pif. "
Jakub se souvint du nez de son ami et dit : " Le docteur Skreta m'a dit qu'il s'est occupé de vous.
- Vous connaissez le docteur ? demanda l'homme gaiement.
- C'est mon ami, dit Jakub.
- Nous lui sommes très reconnaissants ", dit la jeune mère, et Jakub pensa que l'enfant était probablement l'une des réussites du projet eugénique de Skreta.
" Ce n'est pas un médecin, c'est un sorcier ", dit l'homme avec admiration.
Jakub songea qu'en ce lieu où régnait la paix de Bethleem, ces trois personnages étaient la sainte famille et que leur enfant n'était pas né d'un père humain mais de Dieu-Skreta.
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L'humanité produit une incroyable quantité d'imbéciles. Plus un individu est bête, plus il a envie de procréer. Les êtres parfaits engendrent au plus un seul enfant, et les meilleurs, comme toi, décident de ne pas procréer du tout. C'est un désastre. Et moi, je passe mon temps à rêver d'un univers où l'homme ne viendrait pas au monde parmi des étrangers mais parmi ses frères. (p. 153)
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La politique, c'est l'écume sale sur la surface de la rivière, alors qu'en fait la vie de la rivière s'accomplit à une bien plus grande profondeur. L'étude de la fécondité féminine dure depuis des milliers d'années. C'est une histoire solide et sûre. Et il lui est tout à fait indifférent que tel ou tel gouvernement soit au pouvoir. Moi, quand je mets un gant de caoutchouc et quand j'examine les organes féminins, je suis beaucoup plus près du centre de la vie que tu ne l'es, toi qui as failli perdre la vie parce que tu te préoccupais du bien de l'humanité.
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Puis ils s'étendirent côte à côte dans le grand lit. Il la regardait. Elle était allongée sur le dos, la tête enfoncée dans l'oreiller, le menton légèrement levé et les yeux fixés au plafond et, dans cette extrême tension de son corps (elle le faisait toujours songer à la corde d'un instrument de musique, il lui disait qu'elle avait «l'âme d'une corde»), il vit soudain, en un seul instant, toute son essence. Oui, il lui arrivait parfois (c'étaient des moments miraculeux) de saisir soudain, dans un seul de ses gestes ou de ses mouvements, toute l'histoire de son corps et de son âme. C'étaient des instants de clairvoyance absolue mais aussi d'émotion absolue ; car cette femme l'avait aimé quand il n'était encore rien, elle avait été prête à tout sacrifier pour lui, elle comprenait en aveugle toutes ses pensées, de sorte qu'il pouvait lui parler d'Armstrong ou de Stravinski, de vétilles et de choses graves, elle était pour lui le plus proche de tous les êtres humains... Puis il imagina que ce corps adorable, ce visage adorable étaient morts, et il se dit qu'il ne pourrait pas lui survivre un seul jour. Il savait qu'il était capable de la protéger jusqu'à son dernier souffle, qu'il était capable de donner sa vie pour elle.
Mais cette sensation d'amour étouffant n'était qu'une faible lueur éphémère, parce que son esprit était occupé tout entier par l'angoisse et l'effroi. Il était étendu à côté de Kamila, il savait qu'il l'aimait infiniment, mais il était mentalement absent. Il lui caressait le visage, comme s'il la caressait d'une distance incommensurable de plusieurs centaines de kilomètres.
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J'étais en Allemagne quand la guerre a éclaté. C'est la femme que j'aimais en ce temps-là qui m'a dénoncé à la Gestapo. Ils sont venus la trouver et lui ont montré ma photo au lit avec une autre. Ça lui a fait mal, et vous savez que l'amour prend souvent les traits de la haine. Je suis entré dans la prison avec la sensation étrange d'y avoir été conduit par l'amour. N'est-ce pas admirable de se retrouver entre les mains de la Gestapo et de savoir que c'est là, en réalité, le privilège d'un homme qui est trop aimé ?
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Vidéo du 12 juillet 2023, date à laquelle le romancier tchèque naturalisé français, Milan Kundera, s’est éteint à l’âge de 94 ans. La parution en 1984 de son livre "L’Insoutenable légèreté de l’être", considéré comme un chef-d'œuvre, l'a fait connaître dans le monde entier. Milan Kundera s’était réfugié en France en 1975 avec son épouse, Vera, fuyant la Tchécoslovaquie communiste (vidéo RFI)
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Milan Kundera

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