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Critique de ninachevalier


Je tiens à remercier Babelio et les éditions Flammarion de m'avoir permis de suivre le travail de l'écrivaine Nathalie Kuperman, dont j'avais apprécié l'autoportrait littéraire dans la revue Décapage.

Partons en villégiature dans le Var, à Saint-Clair avec Agathe et sa mère. Départ précipité , sans explication, avant la fin de l'école. Nathalie Kuperman revisite son enfance, et en particulier l'été de ses onze ans, où «  rien ne serait comme avant ». Un voyage long, beau pour la mère qui, peu discrète, hurle dans le train pour Toulon : «  La mer, la plage, les bateaux, les poissons » ! Un rêve réalisé ?
Le roman s'ouvre sur leur baignade enjouée. Elles frétillent tels des poissons, jouant aux dauphins.

Agathe se plaît à être de connivence avec sa mère dont le regard l'attire comme un aimant.
Une mère qui affuble sa fille d'une pléthore de petits noms doux : «  mon petit loup, mon petit macaroni, mon p'tit poil, mon pissenlit, ma petite salamandre, ma petite fleur, mais aussi ma petite patate... » ! Une mère qui ne manque pas de déverser moult injonctions : « Tiens-toi droite, redresse-toi, Ne grogne pas.. ». Elle lui assène aussi des mises en garde , lui explique la différence entre émigrés et immigrés, lui brosse les portraits de ceux qui tiennent l'hôtel où elles logent.
Agathe devient «  son petit cobaye », quand elle teste les recettes destinées au livre de cuisine que sa mère publie. Elle enquille les sobriquets et ne manque pas d'imagination, de quoi faire une belle brochette : «  ma sardine, ma biscotte, mon boudin blanc... », mais aussi «  mon ange » !

On devine que le père n'est pas au courant de leurs vacances anticipées quand la mère ignore son appel téléphonique. Un père qu'Agathe aime et qui lui manque. Un père qui a refait sa vie, dont la compagne attend un bébé et s'est installé à New York.Il n'y aura plus les week-ends alternés mais il lui a promis le mois d'août en Normandie chez les grands parents.

La narratrice évoque les moments de complicité de fous rires, avec sa mère, sa façon de lui faire plaisir, de lui prouver son amour. Des étreintes fusionnelles. Un amour débordant réciproque, au moins au début.
Comme si elles appliquaient la chanson de Louis Chedid : «  Il faut dire aux gens qu'on aime qu'on les aime ». Mais que cachent de telles effusions si démonstratives ?
Le lecteur le constatera vite !
Scandale provoqué par la mère lors d'un dîner au restaurant ainsi gâché par son attitude hystérique.
Agathe, pauvre petite fille abandonnée toute une journée sur la plage, une autre fois sur un ponton.
Marche sans pause sous un soleil de plomb, sans boire. C'est alors que tout bascule dans leurs liens.
«  Elle que j'aimais tant voulait que je la haïsse », confie la narratrice devant l'attitude sadique de sa mère, se désaltérant devant elle, qui mourait de soif. Voulait-elle faire vivre à sa progéniture ce que décrit Amélie Nothomb dans Soif ?

Tant de situations ignobles qui conduisent Agathe à lancer un appel de détresse au père, à l'insu de sa mère. Comment réagira-t-il ?

le visage triste, de sa mère, baigné de larmes, la gamine le connaissait depuis le départ du père, mais la voir rentrer ivre la révulse. Peu à peu, le passé d'Alice, la mère se dessine, le manque de parents, de référents, à l'exception de la grand-mère maternelle peut-il expliquer son déséquilibre ?
On constate son côté borderline quant à son alimentation, loin de la recommandation : 5 fruits et légumes par jour qu'elle avait consenti à modifier une fois enceinte. Mais que penser des repas durant leur séjour à Saint-Clair, exception faite des petits déjeuners servis à l'hôtel ?
D'autant que pour Alice, une glace évitera le repas du soir ! On est loin du maternellement correct...


La solitude s'empare d'Agathe, considérée comme « une grande fille », qui rêve d'être avec sa meilleure amie Tatiana qu'elle adore. L'hôtelière, pleine d'empathie, se voit jouer le rôle de baby sitter pendant que la mère mène sa vie de femme ! le dîner de la pitchoune avec Mme Platini et son fils finit par une altercation avec Herbert, le xénophobe, des insultes, une gifle, des pleurs, un évanouissement !
Une gifle que la mère décide de rendre/de retourner à l'envoyeur, ce qui provoque une situation digne d'un vaudeville et l'urgence pour Alice et sa fille de quitter cet hôtel, escortées par les policiers. Une nouvelle vie commence alors, pleine de rebondissements dont un dramatique.

Agathe convoque de multiples souvenirs, comme l'incident, «  expérience traumatisante » du noyau de pruneau. le lecteur a le coeur serré quand elle émet ses souhaits : «  J'aurais voulu... » et fantasme sa vie, quand elle implore le ciel, déclame ses monologues laissant deviner son mal être.

Coup de théâtre , la mère lui annonce qu'elle va se remarier ! Comment va-t-elle réagir à cette lubie ? Va-t-elle se concrétiser ? La deuxième partie donne la réponse. Ne dévoilons rien.

La métaphore des poissons se glisse tout le long du récit, souvent associée à l'injonction : «  Maillot de bain ! », mais une fin tragique va bouleverser le destin des protagonistes. Agathe se prend parfois pour une sirène pour nouer le contact avec d'autres ou pour une pieuvre, «  qui inspirait
fascination et dégoût ». En plus ,on lui en a fait manger du poisson !

Avec le recul, la narratrice brosse un sévère portrait de son embarrassante mère : «  une folle, une sauvage », «  une mère moitié dragon, moitié serpillière » et confie avoir du mal à supporter le mot « maman ». Les mères seraient-elles un venin ? le manque évident de dialogue va accentuer le fossé. Quand la gosse tente de briser le silence, elle est confrontée à une fin de non recevoir : «  Tais-toi, je ne veux plus t'entendre ». Par chance, Agathe a pu croiser des personnes bienveillantes comme Séraphine, la muette, employée à l'hôtel de Saint-Clair, qui joue un rôle important dans l'épilogue. Détentrice d'une lettre qu'elle a tenu à remettre à l'orpheline adulte.

La lecture s'avère l'antidote, l'échappatoire pour résister aux délires de la matrone.Agathe nous fait partager sa lecture du moment. le récit est donc entrecoupé par des extraits de son précieux livre
«  le bateau incassable », histoire qu'elle voudrait vivre. Mais c'est sur un autre bateau que sa mère envisage d'habiter, le voilier Amour perdu ! Celui de Maurice, son futur beau-père. le livre apparaît comme un doudou , une refuge pour l'enfant terrible, qui aura le cran de fuguer.


La génitrice d'Agathe, qui sort des clous par son comportement bipolaire, fait penser à la mère fantasque de Delphine de Vigan dans Rien ne s'oppose à la nuit. Elle a aussi quelque chose de la mère de Mercedes Deambrosis dont le portrait est brossé dans Rendez-vous au paradis, une mère tyran , ogresse qui a pourri la vie des ses filles.

On retrouve dans ce roman l'humour et l'autodérision déjà présents dans le roman précédent Je suis le genre de fille, ainsi que ce besoin d'être aimée.
Nathalie Kuperman explore une relation atypique, toxique entre une mère et sa fille où amour et haine s'entremêlent, comme dans la chanson de Gainsbourg. La narratrice, la victime, restitue de façon bouleversante cet été de ses onze ans où tout a dérapé. Marquée à vie.
NB :
Dans la revue Décapage no 58, un dossier est consacré à l'autoportrait littéraire de Nathalie Kuperman. Il est troublant de lire qu'elle évoque souvent sa mère dans les livres, qu'elle fut contrainte à la vie d'interne par sa mère. Encore plus troublant, elle confie : «  Ma mère ne me supportait plus. On était toutes les deux à ne plus pouvoir se supporter ». Alors, y aurait-il des accents autobiographiques dans ce roman ?


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