Racines siciliennes

Le soir frémit, la douce lumière ambrée tombe en cascade silencieuse sur la terre. Mes yeux embrassent cet horizon familier. En moi résonne une chanson qui vient du passé. Dans ces heures glissantes du crépuscule, je me regarde. La vie a défilé, elle s’est ingéniée à passer à son rythme, emportant peu à peu souvenirs et proches dans cet
ailleurs qui me tend ses bras.

(Incipit)

Il a entendu parler d'un guérisseur, un viel Arabe. Il file le consulter, persuadé qu'il saura exactement ce qu'il faut faire. Il se trouve dans la ville ancienne, dans une de ses antiques maisons typiques, ça sent les épices le mouton et la menthe. Sauveur se présente, un homme âgé est devant lui, une grande djellaba pourpre et des babouches usées. Salvatore lui montre sa main et en arabe lui explique sommairement la situation. Le vieil homme le fait entrer, la pièce est sombre, il le fait asseoir.
_ Tu t'es réveillé comme ça ? Chez toi ?
_ Non au travail. Je me suis assoupi dans ma guérite et au petit matin ma main était dans cet état.
_ Ah, alors, c'est une araignée qui t'a mordu.
_ C'est grave ?
_ Si ça devait l'être, tu serais déjà mort. Je vais te faire un cataplasme avec ces plantes. Tu le garderas deux jours.

Son plus grand plaisir c’est quand il retransmet des concerts de musique classique. Là, seul dans sa cabine, il éteint les lumières et dans le noir, une fois tous les réglages faits, il écoute… Se laisse emporter par la magie de la mélodie. Il voyage à travers les notes, il y a du beau et du sublime qui entre en lui. Il s’évade et son côté artiste prend le dessus, à l’abri des regards indiscrets, il savoure cette douceur, s’enivre de la poésie contenue dans la musique.

Quelques jours plus tard , à l'heure où le Muezzin du haut de son minaret appelle le fidèle à la prière , où le soleil se prépare à rendre son dernier hommage étincelant à la terre , Pietro ferma ses yeux pour toujours .
Misérable ou grandiose existence , hors du commun , semée de souffrance et d'exil , de passions et de découvertes . Personne ne sut jamais ce qui le fit vibrer . Au seuil de son ultime souffle , pour qui avaient été ses dernières pensées ? Qu'avait-il vu au fond de ses yeux ? La Sicile ? Le bagne , ses enfants ? Avait-il recommandé son âme à Dieu ? La religion n'avait jamais été très présente chez lui . Avait-il cru seulement une fois en Dieu ? P.286

Les colons donnent le meilleur d'eux-mêmes, parce qu'ils pensent que cette terre est maintenant la leur, ils la partagent avec les Arabes, ils vivent en harmonie et sont fiers de cette cohabitation. Pietro est désormais un vieillard facétieux

Août arrive vite. Les moissons finissent d'être rentrées. Une autre récolte s'annonce. Sanglante, inutile, inoubliable. Les États européens entrent en guerre. Ils ont besoin de toutes leurs ressources humaines. L'Afrique du Nord va fournir à la France et à l'Italie son contingent de soldats. Certains crurent que le fait de verser son sang pour elle, suffirait à obtenir une reconnaissance éternelle. Quelle désillusion. La France broiera des vies et des familles entières, en considérant que ce massacre n'était qu'un dû normal envers elle.

L e matin du 23 février 1881 Pirtro est debout depuis très longtemps. Il n'est pas arrivé à dormir. L'aube traîne sa flemme au-dessus des collines, les chiens grognent et mont et rent des signes d'inquiétude. Henri rejoint Pietro. Ils décident de réveiller les autres ouvriers, et leur distribuent armes et munitions. Marie et les enfants sont placés à la cave.
Le silence soudain est brisé par des « You You » venant des chênes, tandis que des dizaines de cavaliers foncent sur le ferme.

" Faut pas frapper aux portes de l'enfer , ça porte malheur"
- C'est pas l'enfer qu'on touchera , c'est le coeur de deux tourtereaux . On demande simplement de l'aide pour qu'ils s'aiment plus vite . Ce n'est pas un crime .
-Quand même c'est aller contre nature . Après tout si votre fils n'a pas de sentiments pour ma fille , pourquoi insister ?
- Foutaise , ce n'est pas qu'ils ne s'aiment pas , c'est juste qu'ils ne le savent pas encore . P.326

On est toujours étranger à l'infortune des autres , on ne sait que vivre que dans la sienne . Impossible de se mettre ailleurs qu'à sa place . P. 280

Novembre 1918 . L'incroyable délivrance arrive enfin . L'ordre du cessez-le-feu est donné à toutes les troupes .
Le 11 novembre , tout est terminé . Des cris de joie , les soldats sortent des tranchées et se congratulent . Hier encore adversaires , les voilà en train de fraterniser , comme si tout ce qu'ils avaient vécu n'avait été qu'un stupide jeu , une farce des grands . Incroyable spectacle .
P.275