Citations sur Les chagrins ont la vie dure (20)
- Une quoi ?
- Une crémation. On brûle les gens au lieu de les enterrer.
- C'est dégueu !
- La mort est toujours affreuse de toute façon. Entre être mangé petit à petit par les vers ou réduit en cendres, je ne sais pas ce qui est pire ou mieux. Et cela revient au même, puisqu'on est décédé de toute façon.
Les relations entre frères et soeurs sont exigeantes. Contrairement à ce que laissent supposer les liens de sang ou de généalogie, rien ne va jamais de soi : la fraternité réclame attention, bienveillance, tolérance, générosité... Amour, quoi ! Ce qui n'est pas simple, aucun chemin n'étant tracé à l'avance.
Les grandes personnes ne sont jamais exactement comme on voudrait qu'elles soient et c'est pareil pour les enfants.
Je renoue avec autrefois... Non pour nourrir ma nostalgie, comme je l'ai cru en arrivant, mais plutôt pour redécouvrir mes parents tels que les voyais petite : jeunes, beaux, débordants de vitalité et d'intelligence. J'ai voulu les arracher un court instant à la gangue de la vieillesse et de la décrépitude. Ainsi font ceux qui, sentant la mort approcher, redonnent vie à leurs parents disparus, en ravivant leur mémoire. Alors, ils n'entreront pas seuls dans l'ailleurs; alors, accompagnés par ceux qui leur ont donné vie et les ont précédés, ils auront moins peur. (p. 174)
Elle a une drôle d'air, la dame assise en face de moi. Elle ressemble à celle de la météo, mais c'est pas elle, ça se peut pas... On dirait qu'elle voit rien-ah, j'ai compris, elle dort, avec les yeux ouverts. Elle ronfle un peu même. Non, c'est pas celle de la télé. Pas possible
Je me demande si les morts claquent la bouche ouverte, comme les gens qui dorment. C'est dégueulasse, toute la terre qu'ils doivent avaler. Peut-être les vieux, ils dorment la bouche ouverte pour s'habituer à être morts.
Comédienne, c'était bien : j'exercerais un art à ma mesure, qu'il ne faudrait ni créer, ni inventer. Au fond, je partageais la misogynie de certains amateurs de théâtre - disparus aujourd'hui - qui comparaient les comédiennes à de charmants volatiles sans cervelle. (p. 109)
Pourquoi les gens âgés, qu'ils soient écrivains, artistes, poètes, raniment-ils leurs souvenirs d'enfance, de jeunesse, quand ils vieillissent ? À quoi tient ce besoin de sonder sa mémoire et de la confronter à la réalité ? Pourquoi ces bribes du passé restent-elles plus précises, vivantes, que les plus récentes ? Pour des raisons purement physiologiques de destruction progressive des cellules ? Cet argument ne suffit pas. (p. 96)
Tous les crématoriums sont construits à proximité des grandes voies de communication - pas de perte de temps pour dire adieu aux défunts - et aux abords des zones industrielles, loin des vivants, tant l'homme moderne tient la mort à distance comme il peut. (p. 66)
Comme la mode est récente, la plupart des crématoriums ressemblent à des maisons Phénix transformées en salles de mairie, constructions modernes toutes plus laides les unes que les autres, avec béton froid, carrelage aseptisé, fleurs en plastique posées dans de faux pots. Ces temples insipides, sans sacralisation, d'une mort déshumanisée, me répugnent, je suis sûre que le funérarium de Bordeaux ressemble à ceux de Pau, Tarbes, Bruxelles, du Mont-Valérien ou de Cannes, bref à tous ceux que je connais déjà au gré des disparitions de mes familiers, amis, connaissances. Des lieux sans âme ni solennité, où la douleur n'est que plus dure à supporter. À croire que le mot "enterrement" va devenir impropre. (p. 54)