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Citations sur La traversée (34)

Ils sont debout, en un seul rang serré, en ligne droite, le long du mur blanc (ou bien est-il jaune clair) et ils sourient tous. Leurs regards, leurs gestes, leurs visages expriment un drôle de sourire, comme une invitation. Tout, dans leur attitude bienveillante, semble vouloir dire :
- Viens !
D'ailleurs, l'un d'entre eux, le plus âgé, finit par ouvrir la bouche et il prononce précisément cette parole que je croyais deviner :
- Viens !
Puis il ajoute :
- Viens nous rejoindre. Nous t'attendons.
Comme s'il s'agissait d'une évidence, une chose acquise. Je regarde le petit groupe aligné devant le mur. Certains sont âgés, certains sont jeunes. Il y a un gros, un maigre, une rousse, une Noire, une blonde, deux jeunes hommes plutôt minces, des vieux. Certains portent des lunettes, l'un d'entre eux un grand chapeau blanc. Je les connais tellement bien !
Les femmes sourient, comme les hommes. Je les aime tous, ces hommes et ces femmes. Ils ne sont pas plus d'une dizaine. Je les ai tous aimés, mais ils sont morts, et je les aime encore, puisqu'ils n'ont jamais quitté ma mémoire. Ce sont les morts de ma vie. Je me demande pourquoi je devrais les rejoindre. Ce n'est pas dans mes projets. Pourtant, ils insistent. On dirait qu'ils ont adopté la même rondeur dans le maintien, dans le sourire, la même gentillesse un peu lourde, un peu répétitive dans le ton. Il y a une douceur, une douceur ferme, lente, doucereuse :
- Viens, mais viens donc ! Qu'est-ce que tu attends ?
Une douceur au ralenti, comme leurs gestes, rares et ralentis. Ils savent ce qu'ils font et ce qu'ils veulent, et cela provoque chez moi un soupçon d'irritation. Car j'ai beau les aimer, je n'aime pas leur insistance, leur face de carême réjouie, cette espèce de componction qui les habite, leur certitude que ça va marcher et que je vais leur obéir et traverser la ligne ! Non : ce sont des morts. Je ne veux pas y aller.
Ils sont morts, ai-je dit, mais ils ne sont pas morts puisque je suis vivant et puisqu'ils sont là, bien présents le long du mur blanc-jaune, et puisqu'ils me parlent. Ou alors, est-ce moi qui ne suis plus vivant ?
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À cet instant de la traversée, il est bon d'énoncer le premier des préceptes que vous apprend ce voyage : il faut parler aux malades. N'écoutez pas les hommes de science et de technique, les hommes d'autorité et de compétence, les hommes de savoir dont la connaissance s'arrête aux portes des sentiments et dont la rationalité limite leur approche de la vie et des êtres. N'écoutez pas ceux qui vous disent que le malade, le comateux — voire le mourant, voire le mort ! — ne vous entendent pas. Il faut parler à ceux dont on croit qu'ils ne sont plus en état de recevoir une parole — parce que, justement, la parole passe. Il suffit qu'elle soit parole d'amour.
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Le malade est un égoïste, un enfant gâté qui attend tout, un «  assisté » à 100 %. Or, la jeune femme qui, à 6 heures du matin, vient lui porter ses premières gélules ; la jeune femme qui, à 8 heures, vient lui servir son thé chaud et ses tartines ; la jeune femme qui, à 9 heures, vient balayer et nettoyer le sol de sa chambre, la cuvette de ses toilettes, les cloisons de ses placards ; le jeune homme qui, à 10 heures, vient lui poser son aérosol ou prendre sa température ou son sang ; les femmes qui, à 11 heures, viennent changer les draps de son lit et son alaise; les ouvriers et les ouvrières de cette incessante manufacture de la vie qu’est un hôpital méritent toutes et tous votre considération et votre compassion. Cette considération et
cette compassion vous viennent d’autant plus aisément que vous sortez de la réa. Il est important de conserver ce sentiment et de l’entretenir sans artifice. Infirmières et infirmiers, kinés, femmes de ménage, surveillantes et internes, assistantes : ils sont comme vous et moi. Ils se posent la même question : qu’est-ce qu’on fait là, dans cette vie, qu’est-ce que je fais avec ce corps-là ? Ils savent même un peu mieux que vous et moi qu’ils doivent mourir, et que ce savoir nous rend différents de toutes les espèces et créatures vivantes sur cette terre. Un peu mieux que vous et moi, ils savent, même s’ils ne l’ont jamais lue, la vérité du sanskrit :
« La vie est instable comme une goutte d’eau tombée sur une feuille de lotus. » Et comme ils côtoient à longueur d’année ce fait inévitable, ils l’ont sans doute un peu mieux accepté que vous et moi. Cela ne veut pas dire qu’ils ne soient pas des frères humains fragiles et vulnérables, et que, à fouiller, touiller, plonger en permanence dans vos draps, vos cœurs, vos gestes, vos caprices et vos frayeurs, vos récriminations et vos exigences, ils n’aient pas droit, eux aussi, à un peu de respect, de gentillesse, de curiosité. Qui sont-ils ? Qui sont-elles ? Que font-ils quand ils ont quitté la grande manufacture ? Que lisent-ils, s’ils lisent ? Que voient-elles à la télé ? Que font leurs enfants ? Ou iront-ils en Vacances — mais ont-ils assez d’argent pour partir en Vacances Qu’ont-elles vu au cinéma —, mais avaient-elles assez d’argent pour aller au cinéma ? Qui sont ces anonymes sous-payés que leur nation ignore et qui, pourtant, ont pour profession de soigner cette nation ? Qui sont ces ouvriers que leur nation méprise ? Une nation qui ignore, méprise et sous-paye ses infirmières, ses policiers, ses chercheurs et ses enseignants, est une nation en danger. 
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À cet instant de la traversée, il est bon d'énoncer le premier des préceptes que vous apprend ce voyage : il faut parler aux malades. N'écoutez pas les hommes de science et de technique, les hommes d'autorité et de compétence, les hommes de savoir dont la connaissance s'arrête aux portes des sentiments et dont la rationalité limite leur approche de la vie et des êtres. N'écoutez pas ceux qui vous disent que le malade, le comateux — voire le mourant, voire le mort ! — ne vous entendent pas. Il faut parler à ceux dont on croit qu'ils ne sont plus en état de recevoir une parole — parce que, justement, la parole passe. Il suffit qu'elle soit parole d'amour.
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la vie est instable comme une goutte d'eau tombée sur une feuille de lotus
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L’amour qui vous sauve, c’est aussi celui que vous donnent ceux pour qui vous êtes un inconnu.

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Tu ne pouvais pas mourir puisque tu n'avais pas vécu cela.
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Nouveau précepte à ajouter à ma liste : il existe quatre étapes pour aborder la douleur. Premièrement, il faut la reconnaître. Deuxième étape, si tu l'as reconnue, il faut l'accepter. Troisième étape, puisque tu l'as acceptée, tu peux essayer d'en sortir. Quatrième et dernière étape, tu es donc capable de la dépasser, puisque tu la connais.
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La privation de la parole est une autre forme de privation de liberté.
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Première force : la volonté et la résistance, transformées en un combat verbal entre les deux voix (la négative et la positive). Deuxième force : le rire. Troisième force : l'amour, les autres.
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