Citations sur Cartographie de l'oubli (25)
"L'enfer semblait avoir élu domicile ici. Trente ans que le protectorat avait été déclaré. Trente ans pour en arriver là. Pour voir des jeunes tirer sur des enfants sans défense, pour voir des femmes se faire écraser par des chevaux lancés au grand galop. Trente ans pour un ordre d'extermination.
Certains fous allaient jusqu'à violer les cadavres. Chacun leur tour, ils jouissaient sur le corps déjà roide d'une femme."
p.377
"Je me suis intérressé à l'héritage, le mien, celui de mon pays. J'ai appris ce débarquement de colons qui ont fait main basse sur un sol qui n'était pas le leur, j'ai appris l'horreur, mais je n'ai pas su quoi en faire. J'ai vu de mes yeux le monde qu'ils ont voulu bâtir et celui qu'ils ont voulu effacer. J'ai essayé de tracer des lignes, de recouper des événements entre eux, de trouver des correspondances pour me réapproprier ma propre histoire, mais chaque fois que je me faisais un jugement, il était tout de suite remis en cause. J'étais jeune et je découvrais à quel point l'Histoire qu'on maintient vivante est modulable et subjective. Le Sud-Ouest africain a été une répétition avant le grand bal. La modernité avant l'heure. Mais personne ne voulait m'écouter. "
p.112
"- Rompez maintenant, et allez prévenir Heinz. Qu"il sorte un peu la tête de l'eau. Tuer un homme n'est pas une chose si affreuse, ce n'était même pas un Blanc."
p.47
"Ici, on se sent parfois si seuls. Comme si le monde tournait dans un sens et que nous étions à l'arrêt. Ce n'est pas faute de faire de grands gestes."
p.41
Sommes-nous réduits à une simple filiation?
Moi, le cinéma, je n’aime pas ça. Quand j’étais enfant, un idiot m’a dit que les meurtres étaient réels. Chaque coup de mitraillette, chaque pendaison, chaque lame sous la gorge, avaient lieu en vrai. Certains acteurs avaient le droit de ne jamais mourir, le reste, on en abusait comme on voulait. De la chair à canon, une image bien trouvée.
Il avait une chose, banale, anodine, qu’elle ne posséderait jamais. Née au mauvais endroit, dans un monde trop jeune. Comment consoler ça quand on est un enfant… Elle méritait autre chose. Elle aurait dû naître maintenant, en 2004, non, plus tard encore, en 2024, ou 2084, à supposer qu’il y ait encore une terre.
Chaque chose à sa place.
Il y avait de la joie, de l’entraide, un peu de violence, parfois.
Et l’isolement, mais les règles comprises, on met tout dans des cases.
Quand on est enfant, on ne se rend pas forcément compte. On sait qu’il y a une injustice, mais on ne peut pas mettre un nom dessus. On sait qu’il y a des endroits où on ne peut pas aller, mais dans un pays si sauvage, c’est normal, se dit-on.
Souvent, il avait entendu des colons parler des maltraitances qu’ils infligeaient aux indigènes. Il les assimilait à des bêtes, comme on le lui répétait sans cesse, mais il était forcé d’admettre, face à Hendrik Witbooi, qu’il s’était trompé. Ces Noirs, ils étaient bien humains. Ils souffraient eux aussi. Ce qu’on leur faisait subir avait un impact. Sur leurs désirs, sur leurs familles, sur leurs rêves.
Tuer un homme n’est pas une chose si affreuse, ce n’était même pas un Blanc.