L’idéal serait de ne jamais sentir le poids du temps, d’échapper à l’ennui. Pour cela, il n’y a qu’un remède : être toujours ivre. Le poète doit en permanence alimenter un état de décollement, de décalage avec la réalité, sous peine de voir sa veine poétique se tarir.
Toute mort est un passage, une initiation. Inversement, chaque naissance met au monde un être mortel: elle creuse une tombe.
Avant de trouver l’excellent il faut avoir bu longtemps.
On peut essayer de soustraire le JE à la tempête, de préserver sa toute-puissance. Il faut aiguiser son raisonnement et s’armer de logique, pour faire rempart à l’ivresse et au dérèglement.
Boire, c’est vivre en accéléré la succession des phases de vaporisation/centralisation dont parle Baudelaire, c’est ouvrir un abîme sous les pieds de la Raison.
« Plus c’est givré, mieux c’est », attendons que l’homme soit ivre pour qu’il libère enfin son chant.
L’ivresse doit être avant tout un plaisir – même et surtout si elle est un péché ; elle passe pour une des gourmandises favorites du bon vivant.
Le jour impose aux hommes sa loi : tant que le soleil nous éclaire, nous
devons nous appliquer, être responsables de nos actes, conduire notre pensée de façon rationnelle. Le jour admet éventuellement une légère dose d’ivresse – mais ce n’est là qu’une récréation qui n’engage à rien, loin de tout sérieux absolu. La nuit est par contre la grande passion des hommes : elle incite à dérailler, à rechercher le plaisir et l’excès, à plonger dans l’abîme.
Durkheim a une phrase saisissante — elle n’a pas été écrite au sujet de
l’alcoolique, mais résume parfaitement sa tendance : « Une soif inextinguible est un suicide perpétuellement renouvelé. »
L’alcool n’est pas un aliment plastique, mais il est un aliment destiné à produire de la chaleur. Si l’ouvrier pouvait se procurer assez d’aliments plastiques, il n’aurait pas besoin de recourir aux boissons alcooliques ; mais,comme il lui est souvent impossible de se procurer une quantité suffisante de substances azotées, il est presque forcé de suppléer à cette insuffisance par des boissons calorifiantes qui donnent une force momentanée, une force factice, mais qui en réalité finissent par détruire l’organisme.