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Critique de VincentGloeckler


« On ne saisit pas Cézanne, on ne l'épuise pas, il résiste, on l'effleure, il glisse, il disparaît dans le sous-bois. On l'espère. On l'attend. »
(p.142)
Quand Marie-Hélène Lafon, en dépit d'une fréquentation et d'une admiration déjà anciennes de ses oeuvres, décide d'ouvrir un « chantier » - c'est ainsi qu'elle nomme, avec cette métaphore artisanale si suggestive, tout le travail de documentation, d'enquête et de visites, et d'ébauches d'écriture, de bouts de notes au vrai brouillon, de chaque texte qu'elle élabore -, un « chantier Cézanne », donc, elle sait qu'elle s'attaque à gros enjeu, un intimidant monument national, un «morceau colossal », qui plus est déjà mille fois analysé et célébré, et par des plumes prestigieuses, de Rilke et Ramuz à Juliet et Sollers, en passant par tant de spécialistes. Pourtant, c'est aussi, alors qu'elle met la dernière main au texte des Sources, sortant ainsi du « chantier violent » de cette histoire familiale, un soulagement pour elle, de changer d'horizon, de changer, oui, puisqu'il sera souvent question dans la suite de ce mot, de « paysage », de quitter le Cantal pour Auvers-sur-Oise ou le Pays d'Aix, et sa matière romanesque habituelle pour évoquer ce qui la fascine et l'enchante chez Cézanne et sur ses toiles. Et puis, aussi, se réjouit-elle de pouvoir parler de ce « faire » (puisqu'elle préfère ce terme à celui de «créer »), de ce geste de l'artisan patient, appliqué et têtu, qu'elle reconnaît chez lui comme chez Flaubert ou dans sa propre pratique d'écriture, offrant à son lecteur de saisir ce qui fait l'essence, finalement si peu différente entre la peinture et l'écriture, de leur art.
Le texte s'organise en cinq chapitres, autour des thèmes abordés – « Familles », « Sous-bois », « Dans l'atelier fendu », « Aller au paysage », « Ecrire, peindre » -, cinq chapitres eux-mêmes construits en deux parties. Dans la première, Marie-Hélène Lafon évoque ses différentes rencontres avec l'oeuvre de Cézanne, ses propres sentiments devant l'entourage familial du peintre, le dessin d'un sous-bois ou la grande échelle et la fente du mur dans son atelier d'Aix… Comme elle le dit d'un joli mot, elle «cézanne » à plaisir, tirant d'intéressantes leçons esthétiques de cette exploration de l'univers du peintre, laissant aussi son imagination dériver vers la fiction, quand elle rêve, là, de peupler les environs du cabanon de la Sainte-Victoire avec des héros de Giono, ou plus loin, - nous laisse imaginer un Flaubert se faisant dresser le portrait par Cézanne ! Dans la seconde partie de chaque chapitre, elle confie successivement, sous une forme très narrative, le point de vue à cinq différents personnages de l'entourage du peintre – le docteur Gachet, qui l'accueillit avec Pissarro à Auvers ; Blanche, la mère de Cézanne ; Louis-Auguste, le père hostile mais banquier, dont l'argent l'aidera parfois à vivre ; Hortense, l'épouse, qui voudrait bien qu'il sache enfin « finir » ses tableaux ; et, en dernier, son jardinier et modèle de son ultime tableau, le vieux Vallier – leur permettant de nous présenter des époques et des lieux différents de la carrière du peintre, les difficultés multiples auxquelles il dut faire face, mais aussi les amitiés et les joies qui nourrirent son existence. Chacun de ces textes peut être lu comme une nouvelle indépendante, et l'on y retrouve tous les charmes de l'écriture romanesque de Marie-Hélène Lafon, son attention aux mots, au rythme, à la respiration, comme à l'observation des détails, à la bonne ciselure des petites scènes. On aura ainsi appris pourquoi « aller au paysage » est au coeur de la pratique de Cézanne (et peut-être de celle de notre écrivaine ?), pourquoi il n'est pas toujours important de forcément « finir » un tableau (ou un texte ?), on aura surtout renouvelé notre regard sur certains tableaux du maître, comme l'intrigant Une moderne Olympia et son stupéfiant guéridon, dans la compagnie de la meilleure des guides. Et si vous laissiez, à votre tour, Marie-Hélène Lafon vous porter vers Cézanne ?
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