Citations sur Cézanne : Des toits rouges sur la mer bleue (41)
On ne revient pas du pays de l'éternel retour comme on y est entré et je ne cerne pas tout à fait les contours de cette incertitude.
On ne saisit pas Cézanne, on ne l'épuise pas, il résiste, on l'effleure, il glisse, il disparaît dans le sous-bois. On l'espère. On l'attend.
Restent, dans le désordre des années et de ma mémoire, le vivant velours des sous-bois, des baigneuses, des Sainte-Victoire inlassables, des Grands Arbres au Jas de Bouffan, de Madame Cézanne à la jupe rayée, dans la serre ou au fauteuil jaune, de la Neige fondue à l'Estaque, de la Fillette à la poupée, des pots, des pichets, des cruchons, des compotiers, des fruits éternels, des Joueurs de cartes, du Paysan en blouse bleue, du jardinier Vallier sous son tilleul, des Marronniers du Jas de Bouffan en hiver, des portraits de Louis-Auguste Cézanne, père de l'artiste, d'Achille Emperaire, d'Ambroise Vollard, de Victor Chocquet ou de l'Artiste au bonnet blanc; reste, sous le soleil effrayant de l'Estaque, la carte à jouer des toits rouges sur la mer bleue.
Une oeuvre serait pour toujours travaillée du dedans par ce qui est advenu et par ce qui adviendra, pour celui qui peint, écrit ou compose, mais aussi pour celui qui lit, regarde, écoute.
Il y a aussi et enfin la Sainte-Victoire [...]. Sa carcasse immémoriale est antédiluvienne, son échine longue est plissée, ses contreforts trapus. Son mufle, sa croupe, ses flancs, ses plis, ses replis et ses fentes, ses blancs et ses gris épuisent l'horizon. Elle est massive, elle est aérienne, elle est impérieuse et tient le pays d'Aix sous sa coupe. Elle hausse le ton, elle est en colère, elle n'est pas aimable, ni agreste, ni champêtre, ni pittoresque ; elle est comme elle est, sans ambages, sans chichis, sans fioritures. La Sainte-Victoire est une érection géologique, elle est dardée, elle s'enfonce et, parfois, le ciel lui résiste. Il se cabre, elle aussi, et ça devient épique, on ne sait plus où la montagne commence ni où le ciel finit, ça s'empoigne sévèrement, ça se renverse, ça s'éreinte dans les gris, dans les verts, et les arbres, les bois, tout le reste du paysage halète et fait ce qu'il peut. Elle borne le monde, elle est définitive et elle est impavide.
Aller au paysage, p.110.
On les a vus sur les reproductions et dans les expositions et on les reconnaît, le pot, les bocaux, l'amour, la petite table et son feston. On les retrouve et on aime les retrouver, c'est même aussi pour ça qu'on visite les ateliers des peintres ou les maisons d'écrivains, pour la reconnaissance, la familiarité, pour faire partie de la tribu, y entrer, s'y frotter et se tenir à l'épicentre du séisme de la peinture ou de l'écriture. C'est l'effet pelisse de Proust ou table de Balzac ; le corps égrotant de Proust a endossé cette pelisse lourde, la carcasse de Balzac fut rivée à cette table de rien du tout que l'on visite pieusement au 47 de la rue Raynouard, à Passy. Certains objets ou lieux, comme le Nohant de George Sand, demeurent ainsi très frémissants, presque frétillants, vibrants des décennies après qu'ils ont été désertés.
Dans l'atelier fendu, p. 73 - 74
Il y a le constant miracle des irrémédiables et lancinants sous-bois verts et bleus et la plaie vive des carrières.
C'est immémorial, c'est la vieille danse, les troncs se penchent, toujours ils se penchent et ploient comme s'ils allaient boire à la source de la lumière.
Il dit que Le Louvre est un livre où les peintres étudient.
On les retrouve et on aime les retrouver, c'est mêmes aussi pour ça que l'on visite les ateliers des peintres ou les maisons d'écrivains, pour la reconnaissance, la familiarité, pour faire partie de la tribu, y entrer, s'y frotter et se tenir à l'épicentre du séisme de la peinture ou de l'écriture.