Mais, finalement, un désir n'est pas autre chose qu'un besoin fou.
Je me rends compte que l'envie d'écrire dans une autre langue vient d'une sorte de désespoir.
Je ne parviens pas à répondre. Je ne suis pas capable d'avoir la moindre conversation. J'écoute. Ce que j'entends, dans les magasins, dans les restaurants, suscite une réaction instantanée, intense, paradoxale. La langue semble déjà être à l'intérieur de moi et, en même temps, tout à fait extérieure. Elle ne semble pas être une langue étrangère, bien que je sache qu'elle l'est. Elle semble, si étrange que cela puisse paraître, familière. Je reconnais des choses, bien que je ne comprenne presque rien.
Ce que je reconnais ? C'est une belle langue, certes, mais ça n'a rien à voir avec la beauté. Il me semble que c'est une langue avec laquelle je dois avoir une relation. Il me semble que c'est une personne que je rencontre un jour par hasard, à laquelle je me sens tout de suite liée, attachée. Comme si je la connaissais depuis des années, même si tout est encore à découvrir. Je sais que je serai insatisfaite, incomplète, si je n'apprends pas cette langue. Je me rends compte qu'il existe un espace à l'intérieur de moi où elle sera à son aise.
Son refus de modifier son aspect, ses habitudes, ses attitudes, était sa stratégie pour résister à la culture américaine, la combattre surtout, pour conserver son identité. Devenir ou même ressembler à une Américaine aurait signifié une défaite totale.
Pendant vingt ans, j’ai étudié la langue italienne comme si je nageais le long des contours [d’un] lac. Toujours à côté de ma langue dominante, l’anglais. La longeant toujours. C’était un bon exercice. Bon pour les muscles, pour le cerveau, mais pas vraiment palpitant. En étudiant une langue étrangère de cette façon, on ne peut pas se noyer. L’autre langue est toujours là pour te soutenir, te sauver. Mais on ne peut pas nager sans prendre le risque de se noyer, de couler à pic. Pour connaître une nouvelle langue, pour s’immerger, il faut quitter la rive. Sans bouée de sauvetage. Sans pouvoir compter sur la terre ferme.
Je pense à Dante, qui attendit neuf ans avant de parler à Béatrice. Je pense à Ovide, banni de Rome dans un lieu lointain. Dans un avant-poste linguistique, entouré de sons étrangers.