Depuis son plus jeune âge, Séverine a toujours voulu savoir pourquoi elle était née en Grèce et sa mère est toujours restée vague : c'était dû à « un accident à la fin d'un voyage » amenant la fillette à échafauder tout un tas de suppositions plus farfelues les unes que les autres. Mais un jour, devenue adulte, elle ressent vraiment le besoin d'en savoir davantage sur son histoire et somme sa mère de s'expliquer ; elle interroge son père également et s'aperçoit que tous deux n'ont pas la même version de l'histoire. Alors elle recherche leurs amis, les personnes les ayant côtoyés dans leur jeunesse et reconstitue peu à peu les pièces du puzzle.
Cela lui prendra dix ans pour retracer son « autobiographie prénatale » (sous-titre de ce roman graphique).
Séverine Laliberté est archéologue au CNRS, elle mène l'enquête comme elle mène ses fouilles : avec rigueur et en se documentant. Elle exhume tout un pan de son passé des archives familiales qu'on avait eu tendance à occulter et mène une véritable réflexion sur la mémoire. Elle retrace une tranche de son histoire et de l'Histoire de notre pays après les événements de 1968 dans un témoignage qui est d'autant plus précieux que les récits de routards sur la route des Indes dans les années 1970 sont peu nombreux en langue française alors qu'ils sont pléthoriques chez les anglosaxons.
L'autrice ne juge jamais le comportement de ses parents et porte sur eux un regard distancié mais non dépourvu de tendresse. Elle décrit leur parcours vers l'Est à bord d'une 4L vert céladon, leur volonté de découvrir le monde, leur insouciance aussi : ils partaient sans véritable plan, avec peu d'économies, sans penser vraiment au lendemain. La scénariste évoque les étapes du trajet, les joies et les querelles, le contexte géopolitique plutôt oppressant (les années de plomb en Italie, le rideau de fer à l'Est, la Grèce des colonels) et les contes et légendes des pays traversés dans des encarts à la manière de ceux dispensés par
Marjane Satrapi dans «
Persépolis », puis l'arrêt brutal de cette utopie quelque part en Grèce avec un final digne du film « Argo » ! On est comme happé par l'histoire et l'on veut savoir le fin mot de cette naissance en Grèce et du retour en France ; alors je l'avoue, j'ai « sauté » les passages didactiques pour avancer plus vite sur le «
Hippie Trail » en compagnie de Viviane, Eric et leurs deux amis et puis je suis revenue aux encarts ensuite pour mieux comprendre le contexte.…
Au début de l'ouvrage,
Séverine Laliberté nous fournit une playlist de titres phares de l'époque qui nous plongent dans l'ambiance. le dessin d'
Elléa Bird y contribue aussi. En noir et blanc, agrémenté de quelques touches de couleur pour souligner les passages importants et les éléments clés (dont la fameuse 4L !), avec des personnages bien typés et reconnaissables aux expressions travaillées. Les encarts historiques bénéficient de pleines pages et de détails soignés. le noir et blanc donne un côté rétro à la narration et permet une transition aisée entre la période contemporaine de l'enquête et les flashbacks des années 1970. Des documents « incrustés » viennent ponctuer le récit et attester de sa véracité pour peu qu'on en doutât : plans, photos, coupures de presse, cartes postales, fragments de lettres et dessins de la grande soeur. le lecteur a donc lui aussi l'impression de « fouiller » dans ce passé qui devient un peu le sien.
Cette « road bd » nostalgique est beaucoup moins anecdotique qu'on pourrait le croire. Souvent drôle, instructive aussi, elle est également émouvante dans sa quête des origines, ses interrogations sur le souvenir et la mémoire, et sa description des relations mère-fille (avec une mention spéciale pour l'incroyable mamie Rose). Un album qui vous fera voyager de bien des façons… une réussite !