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Critique de daniel_dz


Sur un fond de « fiction syndicale » dépeignant un piquet de grève qui dure des mois et des mois, Kevin Lambert dresse le portrait de Querelle, un homosexuel à la personnalité complexe. Une lecture qui sort de l'ordinaire et qui vaut la peine d'être découverte, à condition toutefois de ne pas être rebuté par une langue souvent crue et de passer un des derniers chapitres qui, à mon avis, gâche tout le reste.

L'envie m'a un jour pris de partir à la découverte des écrivains dont le patronyme est Lambert, simplement parce que j'avais été amusé d'en voir quelques uns alignés sur une étagère de bibliothèque. Je vous ai déjà livré mes impressions sur Karine, Gernot, Christophe et Stéphane, voici maintenant Kevin.

Kevin Lambert est canadien. Diplômé de l'université de Montréal, il y poursuit un doctorat en création littéraire. « Querelle » est son deuxième roman, initialement paru sous le titre « Querelle de Roberval ». Querelle n'est pas ici un nom commun mais un nom propre, comme dans le « Querelle de Brest » de Jean Genet. Et tout comme dans le roman de Genet, le Querelle de Kevin Lambert est homosexuel.

L'auteur qualifie son récit de « fiction syndicale ». En effet, la trame en est une longue grève dans une scierie canadienne. On suit au fil des mois les « piqueteurs » qui stationnent devant l'entreprise. Des hommes, des femmes, des jeunes, des anciens, des meneurs, des suiveurs, les portraits sont finement brossés. Un bon roman social que l'on croirait écrit par un homme de gauche, mais par conviction ou par facétie, allez savoir, l'auteur prend le lecteur en aparté au chapitre « Optimisation des installations » et déclare « Je voudrais que la lectrice ou le lecteur […] garde en tête que les péripéties prochaines sont narrées afin d'illustrer toutes les perversions des organisations syndicales, qui travaillent activement contre la création de richesses dans un Québec qui en a grandement besoin. […] Oublient-ils que nos programmes sociaux ne seraient rien sans la création de richesses et l'apport des entreprises ? ». Perturbant, ce chapitre. Une pincée d'inattendu qui pimente le plaisir de lecture.

On se trouve là à la fin de la partie intitulée « Parodos ». L'auteur a en effet structuré son texte comme une tragédie grecque: prologue, parodos, stasimon, kommos, exodos, épilogue. Naguère, j'ai appris l'alphabet grec dans un cours de physique théorique, mais ma culture antique s'arrête là, malheureusement. Je n'ai donc pas pu apprécier ces allusions ni d'autres sans doute, que je devine parsemées par l'auteur tout au long du texte.

La « fiction sociale » n'est que l'arrière plan du tableau qui dépeint Querelle. Querelle aime les jeunes garçons, qui défilent dans son lit en le considérant comme leur héros. Mais Querelle n'est pas un pervers. Il a un côté pathétique. On pourrait le voir comme un alcoolique qui boit en ne sachant plus pourquoi il boit, à qui chaque gorgée fait du bien, sans que la boisson soit un réel plaisir. Querelle a ce côté de jouissance immédiate mais sans émotion. Avec ses collègues de travail, on le voit discret, attentionné, apprécié. Kevin Lambert a réussi à créer un personnage complexe; la finesse psychologique du portrait est assurément à saluer !

Bon, je me dis que vous commencez à avoir envie de lire ce livre au style fluide et vivant, rempli d'expressions de français canadien, un exotisme charmant pour les lecteurs du reste de la francophonie. Mais voici la toute première phrase du récit: « Ils sont beaux tous les garçons qui entrent dans la chambre de Querelle, qui font la queue pour se faire enculer, il les enfile sur un collier, le beau collier de jeunes garçons qu'il porte à son cou comme nos prêtres portent leur chapelets ou nos patronnes leurs colliers de perles. » Il ne faut donc pas être rebuté par de nombreux paragraphes crûs, plus crûs que celui-là. Clairement, ils ne plairont pas à tous les lecteurs.

Je les ai acceptés sans trop m'offusquer, je pense qu'ils contribuent à la justesse du portrait de Querelle. Par contre, si vous entamez la lecture de ce roman, je vous conseille de passer un des derniers chapitres, « Premiers soins ». Je l'ai trouvé vulgaire, laid, choquant, et je n'ai pas compris ce qu'il pouvait apporter. le précédent, « Vox populi », est assez noir, mais je peux en comprendre l'intérêt. Par contre, « Premiers soins », c'est le cheveu dans la soupe, le vers dans la salade, le genre de chose qui parvient à dévaloriser tout le reste une fois que vous l'avez vu. Dommage.

À part ce bémol dissonnant, je recommanderais aux intrépides d'essayer ce texte qui sort des sentiers battus et qui, je pense, comporte plus de finesse et d'intelligence que ce que j'ai pu apprécier.
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