Nous étions deux muets qui l'un en face de l'autre retrouvaient l'usage de la parole.
Charlotte a ce don de rendre l'atmosphère autour d'elle légère comme un éclat de rire.
Mon frère était fatigué, sa voix si douce, tant aimée, pâteuse, déformée par les médicaments. Il vivait au ralenti, dormait beaucoup. "C'est parfait, ca m'empêche de penser." On aurait dit un homme étourdi par une chute, qui ne sait pas encore dans quel état il va se relever.
(p.85)
Chez nous, on souffre avec un devoir de réserve.
(p.16)
Notre famille nous a fabriqués taiseux, cette incapacité à exprimer des sentiments intimes complique pas mal les relations humaines, mais c'est ainsi. Je ne peux pas prononcer le mot "règles" en public, j'ai du mal à articuler "toilettes", si je hasarde l'expression " aux cabinets", personne ne me comprend, je ne sais pas avouer que je ne vais pas bien. Je n'aime pas les gens qui se répandent, leurs confidences me donnent l'impression de voir couler un camembert trop frais.
(p.60-61)
On vit toujours sous la barre. Insatisfaits de nos réussites, malheureux de nos échecs. Faits comme des rats.
On est insouciants comme des enfants d'hier.
Je ne me suis jamais arrêtée de lire. Jusqu'à aujourd'hui, où la mort me rend les mots étrangers.
Je suis ainsi faite que je n’ai pas besoin de voir les gens tout le temps pour les aimer. L’amour se nourrit d’absence.
Nous partageons nos chagrins mais curieusement comme deux cailloux produisent des étincelles, nos esprits tristes, en s'entrechoquant, fabriquent de la gaieté.
Rester planquée sous l'oreiller, profiter de ces minutes souterraines.