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Critique de Lamifranz


Le duo Lapierre et Collins est déjà l'auteur de trois magnifiques documents-reportages qui tous trois ont marqué leur époque : « Paris brûle-t-l ? » (1965), « …Ou tu porters mon deuil » (1968), « O Jérusalem » (1971). le quatrième, « Cette nuit la liberté », non seulement ne dépare la série, mais encore en est peut-être le plus pur joyau.
Comme le précédent « O Jérusalem », « Cette nuit la liberté » raconte la naissance d'un état. Mais le propos est différent, car l'histoire des deux pays est différente, à tous points de vue, dimension territoriale, dimension historique, dimension politique, dimension religieuse… C'est à une tâche colossale que se sont livrés Dominique Lapierre et Larry Collins. En 1946-1948, dates où se place le récit, l'Inde est un pays de contrastes : l'Inde anglaise et l'Inde des maharadjahs, l'Inde riche et l'Inde pauvre, l'Inde hindoue et l'Inde musulmane… Et pour nos deux enquêteurs il y a contraste aussi entre l'Inde qu'ils étudient (antérieure de près de trente ans) et celle dans laquelle ils vivent au moment de leur enquête, l'Inde indépendante et partagée avec le Pakistan et le Bangladesh. C'est surtout le pays de la démesure : le pays de quatre cents millions d'habitants qui aspirent à la liberté. Après la Chine, c'est le pays le plus peuplé du monde, et celui qui représente la plus grande diversité de populations, et le plus grand écart entre ces différentes populations, accentué par un système de castes sociales très rigide, et bien entendu par les antagonismes religieux. Dans ces conditions, comment parler d'indépendance, comment unifier cet univers morcelé, comment arriver à donner une âme commune à ces quatre cents millions d'êtres que tout sépare ? Qui pourrait incarner cette espérance et la mener à bien ? Cet homme existe. Il s'appelle Mahandas Karamchand Gandhi, ou tout simplement Gandhi, ou Bapu (père), et très vite Mahatma (grande âme), au vu de ses qualités morales hors du commun : déjà célèbre pour ses combats (pacifistes) pour la dignité humaine, la justice sociale, apôtre de la non-violence, guide spirituel de tout un continent, il s'est trouvé tout naturellement à la tête du combat pour l'indépendance, avec ses principaux adjoints, Nehru, séduisant et pragmatique, et Jinnah, qui représente la partie musulmane de la population. A partir de là, c'est de l'Histoire : les grandes marches de protestation, les grèves de la faim, les palabres sans fin avec les Anglais, l'indépendance au bout du compte (15 août 1947), la partition du pays en deux états (Inde hindoue et Pakistan musulman, l'immense exode entre les deux communautés, les dérapages en guerre civile, et finalement l'assassinat de Gandhi le 30 janvier 1948 par Nathuram Godse, un nationaliste exalté qui reprochait à Gandhi la partition du pays.
C'est plus qu'une page d'Histoire qui est ici décrite par Lapierre et Collins, c'est une véritable épopée tragique et somptueuse dans un cadre difficile à imaginer pour qui ne connaît pas la dimension à la fois territoriale et culturelle de ce pays, sans parler du foisonnement de son Histoire. le tour de force des auteurs est de restituer la grandeur de l'Inde dans toutes ses contradictions, de montrer le cheminement lent et difficile vers une indépendance qui, on le sait dès le départ, n'aura pas que des avantages, et risque de tourner à la tragédie, de faire le portrait de ces personnages devenus mythiques que sont Gandhi (un saint laïc comme Martin Luther King, doublé d'un éminent homme politique) Nehru et Jinnah, avec leurs convictions parfois réprouvées, mais animés d'un réel amour pour leur pays, chacun à sa façon, et aussi lord et lady Mountbatten, qui jouent la partie « anglaise », en essayant de limiter les dégâts au maximum.
Par leur sens du récit, la somme ahurissante des documents qu'ils ont amassés, par la restitution minutieuse, vivante et captivante qu'ils en ont fait, Dominique Lapierre et Larry Collins ont écrit un chef d'oeuvre non pas de compte rendu historique, mais de tout un pan d'Histoire rendu à la dimension humaine. Un document exceptionnel que tout amateur d'Histoire (de cette Histoire-là en tous cas) se doit de connaître.
Deux conseils pour compléter cette lecture :
Le film « Gandhi » de Richard Attenborough (1982) a fait l'unanimité pour la fidélité historique au personnage ainsi qu'à son parcours, autant que pour la réalisation l'interprétation (extraordinaire Ben Kingsley) et toute la partie technique. Les évènements racontés dans « Cette nuit la liberté » sont restitués avec une rare authenticité.
Dans toute la bibliographie consacrée au Mahatma, j'ai particulièrement apprécié celle réalisée par Christine Jordis « Gandhi », dans la (très conseillée) collection « Biographies-Gallimard » (2006) : simple et pratique, elle va droit à l'essentiel, et donne une idée générale très convaincante de ce personnage hors du commun.
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