Afin de se pénétrer mieux encore de cette nature qui l'environnait, Daubigny voulut transporter son atelier sur la rivière même, vivre complètement au milieu des eaux pour en saisir les aspects les plus fugitifs. Il se fit construire sur une barque une sorte de cabane, il y transporta ses toiles et ses chevalets et se laissa flotter ainsi au cours de l'Oise ou de la Seine. Les laveuses des bords, surprises de cet appareil innaccoutumé, avaient surnommé la frêle embarcation le botin, la petite boîte.
C'est de ses excursions sur le Botin que Daubigny rapporta ces innombrables études de rivières si recherchées des amateurs et qui se sont dispersées dans les collections particulières. Nous reproduisons ici une de ces esquisses, la Passerelle, qui avec son cachet d'improvisation, garde plus d'imprévu, plus de charme pénétrant que les grands sites plus souvent répétés des bords de l'Oise.
C'est dans une rue tranquille du quartier Popincourt, la rue des Amandiers, que Dauhigny et ses amis, le dessinateur Steinheil, le sculpteur Geoffroy- Dechaume, le peintre Trimolet, avaient établi leur «phalanstère artistique». Ils y tentaient un curieux essai de vie commune. Ils formaient de leurs gains une masse unique et chacun y puisait suivant ses besoins. Mais il fallait, pour qu'une telle association pût durer sans froissements et sans heurts, une amitié franche et robuste, un désintéressement mutuel assez rares. Rien ne paraît avoir troublé l'harmonie du phalanstère et la communauté dura plusieurs années.
L'intérêt de ces premières eaux-fortes de Daubigny est qu'on y voit se préciser sa conception du paysage et qu'on y suit, avec une clarté remarquable, ses progrès dans la voie du réalisme où il venait à peine de s'engager. Presque toutes ces études semblent faites d'après nature : on y reconnaît la vision directe et sincère ; on y sent, dans les eaux aux rives
boisées, dans les sentiers fleuris et les vergers printaniers, un effort pour exprimer, dans leur simplicité, la campagne familière et la vie rustique ; on y retrouve quelques-uns des motifs qui reviendront le plus souvent sous le pinceau
de Daubigny.
Physionomie franche et cordiale, vive et mobile, qui vous séduit et vous échappe, Daubigny déconcerte le portraitiste, se dérobe devant le biographe, s'insurge contre le x ne bougeons plus » du photographe ; et qu'on le veuille peindre au moral ou au physique, il faut pénétrer cette nature ondoyante à son insu et surprendre, au moment où elle s'éclaire, cette tète à la fois pleine de bonhomie et d'intelligence.
On a contesté que Daubigny eut le droit d'être placé parmi les précurseurs des impressionnistes, et nous ne voyons vraiment pas pourquoi. Le mot lui-même semble avoir été inventé en son honneur dès le Salon de 1861 et chacun le répète désormais devant ses toiles. En 1865 (l'année de I'Olympia de Manet) il est même baptisé «chef de l'école de l'impression » et on considère son Clair de Lune comme le «manifeste » de l'école. En 1874, on le rapproche des u fous de tout âge et de tout sexe qui déballent leurs drôleries dans les Salons de M. Durand-Ruel ».