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Citations sur Les jeunes gens (4)

Chaque phrase prononcée par ces jeunes gens semble ainsi rigoureusement contrôlée. Car les Senghor n’ignorent pas que les mots sont l’autre matière première du pouvoir. Il y a ce que l’on peut dire et ce que l’on tait, chez les uns ce qu’on laisse filtrer tout en prenant l’air de ne pas y toucher, chez d’autres le soi-disant franc-parler habilement calculé. On connaît les exigences de la communication politique, des discours formatés, des éléments de langage. Mais c’est un talent plus saisissant encore que d’être capable d’une telle maîtrise dans des situations moins officielles. Quand, me demandais-je parfois en dialoguant avec eux, quand se relâchent-ils vraiment, quand fendent-ils l’armure ?
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Roland Barthes y insiste : une mythologie, c’est avant tout une scène de parole. L’ENA n’est pas une usine de robots stéréotypés, unifiés par leur comportement, leur tenue vestimentaire, ni même leurs aptitudes et ambitions. Ils ne sont même pas tous gris, n’en déplaise au trait d’ironie d’Édouard Philippe. L’ENA est surtout cette fabrique d’une scène de parole. Elle dispose les termes entre lesquels se définissent l’espace public et le territoire politique français. Autrement dit, elle règle un espace de langage à l’intérieur duquel la politique nationale est entièrement sommée de se tenir. Elle ne peut pas déborder – ni sur la droite ni sur la gauche – sous peine de devenir incontrôlable, extérieure au système de consensus que nous avons appris à confondre avec le mot démocratie.
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C’est au lycée Voltaire que celui qui a grandi entre une cité HLM des Lilas et Ménilmontant, avec un père vendeur à la FNAC et une ère éducatrice spécialisée, noue son premier contact avec l’ENA : des élèves de l’École viennent présenter l’institution aux lycéens, expliquent son fonctionnement, vantent son importance et l’idée du service public qu’elle exalte. Mais indépendamment d’un éventuel attrait pour l’auguste maison, une chose, avant tout, frappe Vicherat : la façon qu’ont ces étudiants de parler, d’organiser leurs idées, de manier la syntaxe. « Ils donnaient l’impression de toujours penser à la phrase d’après », se souvient-il. Le lycéen se promet alors d’arriver bientôt à cela : penser à la phrase d’après.
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Il y a bien entendu une idéologie là-dessous : celle qui présuppose que la première mesure d’un acte est son efficacité, et que, quelles que soient les étiquettes et les orientations prises par les différentes équipes successives, celles-ci ne s’écartent jamais d’un spectre théorique central, qui assure une continuité. Celle qui présume également que la tenue de la bonne marche de la République est plus une affaire de spécialistes compétents et autorisés que de représentants du peuple – cette grande masse incertaine et imprévisible qu’il vaut mieux canaliser. Car le mot d’ordre pragmatique est avant tout l’expression d’un tronc commun doctrinal. Il s’agit de faire tourner la machine, certainement pas de l’enrayer ni de la reconfigurer – encore moins d’en changer.
Sans doute faut-il voir là une mutation de la façon dont le pouvoir est perçu par ceux qui y prétendent. Il semblerait que l’ordre des priorités ait évolué, et que les bancs de l’Assemblée nationale aient désormais moins d’attrait que les places gigognes dans les hôtels particuliers de la République, voire aux sièges des grandes banques ou des entreprises du CAC 40.
C’est là, plus que dans l’hémicycle, que se trouve le cœur du pouvoir dans nos démocraties libérales ; du moins est-ce ainsi que les jeunes générations de technocrates le conçoivent. Ce n’est pas forcément la traduction d’une réalité très nouvelle : c’est en revanche un témoignage de la transformation d’un imaginaire politique.
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