- J'ai posé trois fois le cercle. Par trois fois, la Vague a recouvert le Diable. Par trois fois, la Faucheuse, c'est-à-dire la Mort, a recouvert l'Enfant. Le mal est sur le point de nous envahir, il n'y a pas d'autre explication. Des innocents vont mourir.
(Estrid à Magnar)
- A mort ! Tous ! crie le petit monstre d'une voix stridente.
Dans la cage posée sur la lourde table en pierre de la bibliothèque, la bestiole fait un raffut de tous les diables. Elle se tient debout sur ses pattes arrière, comme un être humain, et tourne en rond, gratte et tourne encore. Puis elle tend ses bras filandreux à travers les barreaux et donne des coups de griffes dans le vide. Sa peau est lisse et luisante comme celle d'une grenouille. Au milieu de son crâne tout ratatiné, ses petits yeux sont noirs et brillants.
Répéter cent-six fois qu'ils ne doivent pas y toucher, c'est un peu comme leur demander de le faire.
C’est trop injuste. Cette pensée le hante. Trop injuste. Vraiment trop injuste.
Il court toujours. Ses jambes, qui semblent avancer toutes seules, filent devant le ponton du château.
Là, il s’arrête. Au bord du chemin se dresse une grande serre. Enfin, une serre… un immense édific de verre. Comme un palais des glaces ou quelque chose du genre.
Il voit son reflet dans les carreaux.
Sans réfléchir, il ramasse une pierre et la lance. Elle traverse la vitre avec fracas. Il en ramasse une autre. Et la lance. Pan ! Encore une. En plein dans le mille. Crac ! Patatras ! Encore une. Le verre se brise et tombe en éclats sur le sol.
Le cœur d’Alrik bat fort.
« Je m’en fiche, se dit-il. Je m’en fiche complètement ! »
Brusquement, quelqu’un l’attrape par le bras. Alrik essaie de se libérer, mais n’y arrive pas.
- Lâche-moi, vieux schnock !
- « Vieux schnock » ? Ce n’est pas mon nom de baptême, lui répond calmement l’homme. Je m’appelle Magnar.
Alrik regarde son petit frère. Viggo n'a même pas peur. Il paraît seulement... intrigué. Décidément, il est aussi maboul que les deux autres. Maman a dû le lâcher par terre quand il était bébé. Il a dû tomber sur la tête quand il était bébé et se cogner à l'endroit du cerveau qui distille la peur. Alrik pour sa part, n'a qu'une envie : prendre ses jambes à son cou et ne jamais, jamais plus revenir.
_ Tu sais ce que c'est un frangin ? Dit-il. Un truc petit, qui sent mauvais et qui énerve tout le temps. Un peu comme une verrue aux fesses. Sauf qu'on ne s'en débarrasse jamais.