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Critique de berni_29


Voici un roman noir historique qui a pour toile de fond le Paris de 1870. Nous sommes dans cette période très agitée à la fin du Second Empire, une fin de règne marquée par des mouvements sociaux de plus en plus forts et réprimés par la force et la violence du pouvoir en place.
Ce décor posé, Hervé le Corre va faire de cette histoire un véritable polar social, à mi-chemin entre le thriller et le roman populaire, prenant fait et cause pour la condition ouvrière de l'époque, faisant ainsi entrer en scène des personnages attachants, mûs par l'entraide et la débrouille, rêvant d'un monde meilleur : Étienne, Garance, Fernand et son épouse Marthe, Alphonse...
Mais venons-en à l'intrigue. Toute son originalité tient au personnage principal, ce serial killer, dont l'identité nous est dévoilée dès les premières pages, un certain Henri Pujols. D'entrée de jeu, l'auteur prend en effet le parti de nous dévoiler son identité et sa personnalité, de nous faire coller au plus près de sa déambulation et de son effroyable folie. C'est un jeu de fuite, de travestissements et de cache-cache auxquels nous livre Hervé le Corre, ce qui n'est pas sans rappeler un certain Hannibal Lecter, dont les points communs peuvent se mesurer au volume d'hémoglobine versé et au raffinement des crimes commis. Lecteurs sensibles, s'abstenir ! Bon, me direz-vous, où se situe donc l'originalité de ce serial killer dans tout ceci ? Dans la sauvagerie des meurtres qu'il commet, Hervé Pujols est animé d'une sorte de pulsion créatrice, se sentant persuadé que son destin est de servir le génie d'un poète injustement méconnu à ses yeux, Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont et de mettre en scène son oeuvre sulfureuse : les chants de Maldoror. Au début du roman, les deux hommes sont épris d'amitié, voire même plus. Sans dévoiler l'intrigue, il y a alors un tournant dans le roman qui n'est pas sans nous rappeler le mythe de Frankenstein où ici aussi le créateur se sent brusquement dépassé par l'effet de l'oeuvre qu'il a produite.
Et la police ? Mais que fait la police dans tout ça ? La police, au service d'un pouvoir qui perd pied, est corrompue. Parfois on se demande de quel côté se situe la racaille. Et cela ne sert pas l'enquête. Un flic atypique, donc intègre (je m'exprime bien sûr ici toujours dans le contexte historique !) l'inspecteur Létamendia tout droit venu de son pays basque natal, va à son tour entrer en scène...
Mais revenons au contexte qui fait côtoyer des personnages ordinaires avec la Grande Histoire, dans une fin de Second Empire à l'agonie. Telle une tragédie grecque, la trajectoire du meurtrier va lier d'une amitié indéfectible Étienne, Fernand, Alphonse et les autres et les propulser à la fois au coeur de l'intrigue et dans les agitations sociales qui seront réprimées de manière sanglante. Au loin, se profilent déjà les événements de la Commune de Paris. On aperçoit d'ailleurs brièvement Louise Michel au cours d'une réunion politique.
Il y a aussi la prostitution et ce beau personnage de Sylvie, alias Clarisse qui ne rêve que d'échapper à sa sordide condition afin de pouvoir élever dignement sa fille.
Sans être Zola, Hervé le Corre nous livre, dans ce roman foisonnant, le réalisme d'un contexte social peint avec beaucoup de détails. Il se trouve que, dans le même temps, par un hasard étrange (mais est-ce vraiment le hasard qui nous conduit dans le choix de nos lectures ?... Mais je m'égare...), je lisais en parallèle le premier volume de l'oeuvre des Rougon-Macquart, " La Fortune des Rougon ", dont le décor se situe, quant à lui, aux prémices de cette même période du Seconde Empire, non moins violente.
Alors, me demanderez-vous ? Vous avez donc aimé totalement ce roman ? Je dois avouer que j'ai été emporté par l'intrigue, les rebondissements, mais aussi par le réalisme social qui donne de l'épaisseur à ce roman volumineux (503 pages). Je reprocherai à l'auteur d'en faire parfois un peu trop à certains endroits. Certains personnages sont un peu trop caricaturaux : le flic pourri, la tenancière de bordel gouailleuse, le titi parisien,... le style peut paraître inégal quand certaines phrases deviennent excessivement lyriques, alors que deux pages auparavant nous étions plongés dans l'argot des parigots... Enfin, je ne sais ce qu'il faut penser lorsqu'un auteur s'arrange avec l'histoire de personnages qui ont réellement existé en les plongeant dans une oeuvre romanesque. Je pense bien sûr ici au Comte de Lautréamont et son improbable rencontre avec le serial killer... D'autres l'ont fait avant lui et c'est un procédé de style parfois osé. Je pense qu'il sent sort plutôt bien sur ce coup-là. Mais tout ceci est secondaire face à la singularité du roman et à sa richesse. Et je ne peux que saluer le travail très documenté...
Je ne vous ai pas dit la signification du titre... À vous de chercher...
Il s'agissait de mes premiers pas dans l'oeuvre d'Hervé le Corre et cela m'a donné envie de poursuivre en direction de cet auteur. Il m'a permis aussi d'écrire ici sur le site de Babelio ma première critique et j'espère que c'est un long chemin qui commence...
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