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Critique de Kirzy


Trois étoiles et demi pour Hervé le Corre, ce n'est pas beaucoup car c'est vraiment un de mes auteurs français préférés. En plus, il a pris le risque de sortir de ses genres de prédilection ( romans noirs, polars ) pour s'aventurer dans la dystopie post-apocalyptique, et je trouve toujours réjouissant qu'un auteur cherche à se renouveler.

De la dystopie donc, avec une intrigue qui démarre en 2050 avec un grand effondrement planétaire qui plonge les hommes dans un monde impitoyable : catastrophe climatique, épidémies, totalitarisme, fanatisme religieux, exodes, famines, milices armés. Comment survivre dans un tel monde ? A quoi se raccrocher ? Qu'est-ce qui reste et fait notre humanité envers et contre tout ?

Les questions sont fortes, les enjeux tout autant. On est rapidement sidérés par la violence et la sauvagerie décrites sur quatre générations, de 2050 à 2150, en suivant le destin d'une lignée de femmes, Rebecca, Alice, Nour, Clara, de mères en filles.

Le Corre est un de nos meilleurs stylistes, chaque phrase est admirable. Mais si sa force évocatrice est incontestable, j'ai trouvé qu'elle s'essoufflait pour différentes raisons. D'abord, parce que les péripéties et épreuves qui attendent ces femmes semblent former un catalogue décrivant tous les sombres possibles qui nous attendent si on ne redresse pas vite la barre, aujourd'hui. Ce pessimisme radical clignote de façon un peu trop insistante, et la puissance narrative initiale s'effrite sous la redondance et la surcouche d'ultra-noir.

D'autant qu'on est sur un terrain très familier, peut-être trop. Durant ma lecture, je me suis souvent dit que j'avais déjà lu ça ( et en meilleur ) : La Route de Cormac McCarthy, Et toujours les forêts de Sandrine Collette, La Constellation du chien de Peter Heller, ou encore La Servante écarlate de Margaret Atwood ( pour les passages sur la colonie pénitentiaire ). Ce n'est pas gênant en soi car le Corre ne s'érige pas en prophète, il énonce juste des possibilités anxiogènes dont il pousse juste très loin les curseurs. Il sonne le glas sans donner de leçons.

Sans doute faut-il lire ce roman comme un continuum littéraire, un relais avec d'autres auteurs, comme s'il utilisait les briques des autres qui vivent dans la tête des lecteurs ( selon leurs acquis livresques et leurs références cinématographiques ) pour construire son propre récit.

Même si je ne suis pas aussi convaincue que j'aurais aimé l'être, j'ai apprécié de nombreux passages du roman, notamment une scène, somptueuse et bouleversante, lorsque deux de ses héroïnes rencontrent une vieille femme vivant complètement isolée avec son fils lourdement handicapée à la beauté fulgurante.

« Ils parlèrent aussi du temps d'avant, de ce qui les avait menées là, les unes et les autres, des épreuves, de la terreur, de la barbarie, des mains tendues qu'ils avaient saisies, secourables ou secourues, des nuits sans fin au fond d'un trou, des journées sous le feu des armes, délogés, traqués, perdus. On sentit passer entre eux quelques fantômes mais on ne les invoqua pas, peut-être parce qu'ils savaient s'inviter sans prévenir.
Ils dirent plutôt les bonheurs minuscules et les petits matins, la vie opiniâtre, l'entêtement du jour, le courage d'y croire, de se lever, de rester debout, de tenir peut-être parce que les femmes et les hommes sont aussi faits comme ça, pour ça. Tenir. Penser au lendemain en remettant le futur à plus tard. »

Et puis, il y a tout de même quelques trouées de lumière dans cette désespérance quasi absolue. C'est très puissant d'ériger cette lignée de femmes en gardienne de l'humanité et de l'espoir à transmettre à leurs enfants. L'espoir , même ténu, naît du collectif et des rencontres.

« A huit ans, elle a traversé des misères insondables, des nuits de terreur sans fin, des flammes, des rivières glacées, des ponts effondrés. Des charniers. A huit ans, elle a parlé à des enfants morts comme elle parle aux oiseaux, dans sa langue bizarre, leur disant tout bas des prières peut-être, des suppliques, et Rebecca a dû l'arracher de ses agenouillements auprès des corps recroquevillés dans des fossés, ou renversés dans un talus, indifférente à la pestilence qui montait des cadavres.
Alice a fait ces choses, a vu tout cela, à huit ans, alors ça vaut la peine de lui dire à quel point un océan est beau jusque dans ses innocentes fureurs et d'essayer de lui faire comprendre que le flux et le reflux des vagues sont un mouvement perpétuel, le rythme battant de l'éternité. »

Oui, la lumière vient de ces enfants, de leur énergie, leur courage à jouer et rire au coeur des tragédies, de leur instinct de survie, force animale obstinée qui pousse à se relever.
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