Citations sur Fleurs de tempête (25)
Hélène a une prédilection pour les berges du Canal Saint-Martin, (...) elle doit trouver à ce coin de Paris quelque chose de plus secret, de mouillé, d’automnal comme dans un pays de flaques et de macérations, loin des grands axes, des perpectives aérées, des tracés plus monumentaux. Il n’y a rien à admirer, tout est à deviner et à sentir. Tout est dans les reflets fugaces, les feuilles amoncelées que l’on brasse, les bougies qui tremblotent sur le zinc des anciens bistrots des mariniers. p 54
Les pactes passés dans l’enfance et l’adolescence tout près de la rade de Brest, sur la terre des ancêtres, résistaient à l’usure et aux vicissitudes, ils portaient dans leur blason l’ossature granitique des landes fleuries de bruyères et d’ajoncs, la lumière des flots d’Iroise lorsque l’on glisse vers l’île d’Ouessant.
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Je ne cessais de penser à Hélène perdue pour toujours, au cancer et aux flammes, à la petite qu'elle avait tant voulue et qui restait seule avec son père dans la ville offerte aux vents ; la nuit, dans mes insomnies, et plus encore à l'approche de l'aube, ne doutant pas un seul instant qu'elle fût en vie, je lui parlais là où elle était maintenant, assuré de sa destination lumineuse et certain qu'elle connaissait à sa source le vert éternel de la prairie des frères Van Eyck.
Dans cette cathédrale de Saint Pol de Léon sont conservés derrière les grilles d’un enfeu des reliquaires peints qui contiennent chacun un crâne dont on devine les orbites ou la couleur de vieil ocre cuit à travers de minuscules fenêtres. Les degrés sur lesquels sont rangées les boîtes funéraires portent le nom superbe d’ « étagères de nuit ». Les enfants, les notables, les mendiants, les clercs se retrouvent sur les tablettes de cet étrange ossuaire.
Nous nous sommes arrêtés, fascinés par les chefs, les reliquaires enluminés, dans la pénombre humide, moussue de la chapelle. La fréquentation de la mort, la certitude aussi qu’elle n’est qu’un passage, sont au cœur même de nos fibres finistériennes. Et notre christianisme puise à cette ombre, à ce mystère de l’enfeu et des étagères sacrées.
A la mort de mon grand-père maternel en mars 1990, Hélène avait eu ce mot superbe en évoquant la messe d'enterrement dans l'église que frôlait la marée haute : "C'était la continuité de ta légende." Elle disait juste. La mienne était nourrie de vieillards tutélaires et insubmersibles, de chapelles aux plafonds incrustés d'étoiles, de retables d'or, d'ossuaires, de landes, de flots et de jusants. La sienne d'eaux hautes sous les falaises éboulées, de vieux sages volubiles, d'aubépines et de genêts, de tempêtes qui s'enflaient à la ligne des flots, à la suture invisible des îles d'oubli et des cités disparues.
La disparition de la chevelure des femmes est liée de manière intime et tragique à l'effroi des camps, à la proscription de la tonte, à ce qui défigure et anéantit.
Sans doute est-elle restée d'ailleurs profondément inconsolable comme on le demeure après des pertes essentielles, le coeur à jamais fêlé, mais suffisamment désireuse de vivre pour ne pas consentir totalement à la dépression et à la mort.
Il y a surtout cette impuissance terrible que j'ai ressentie devant son chagrin, cette conscience que j'ai eu très vite d'être incapable de lui donner la consolation et le salut.
Je reviens vers cette période dans un mélange d'appréhension et de tristesse parce qu'elle marque pour moi la fin d'un monde et d'un bonheur que je n'ai pas retrouvé.
La douleur filtrait, discrète, inguérissable.