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Critique de BazaR


Et voilà, je commence ce fameux cycle de Terremer dont j'entends parler depuis mon adolescence. Je l'ai peut-être commencé un peu trop tard ; un peu de la magie que j'en attendais n'était pas au rendez-vous, mais il m'est difficile de dire pourquoi. J'ai probablement vieilli, lu beaucoup depuis.
Cela dit, à la place de la magie, c'est avec un sentiment plaisant et serein que ma lecture s'est faite.

Mon ressenti se mélange un peu avec les intentions qu'Ursula le Guin dévoile dans la postface. Je suis impressionné par le fait qu'elle a commencé cette oeuvre de commande – un livre pour les jeunes – en dessinant la carte et en nommant les lieux. Elle a en quelque sorte utilisé la « magie des noms » comme ses mages. Je suis frappé par le fait qu'un archipel tel que celui-ci renferme toute la variété de climats et de civilisations que l'on retrouve de la Scandinavie à l'Afrique. Mais en fait sa taille est de l'ordre de plusieurs milliers de km si j'en crois la carte. L'impression de resserrement dans l'espace est fausse. On le sent lors des longues, si longues traversées en mer de Ged.

La magie imprègne le monde de Terremer comme la Force celui de Star Wars. L'auteure construit un système original à l'époque, bien plus que celui du Seigneur des Anneaux. Est-elle la première à avoir inventé l'idée que les sorts devaient être « tissés » à l'aide de mots et de runes ? Depuis l'expression s'est répandue. le vrai nom des choses et des gens est l'élément essentiel. le connaître, c'est avoir le contrôle, même de quelque chose d'aussi gros et puissant qu'un dragon. Les élèves-mages apprennent donc des bibliothèques entières de noms : une bonne mémoire est essentielle, une maladie telle qu'Alzheimer ferait des ravages inouïs sur Terremer. de plus, cette importance du nom fixe les limites des pouvoirs des mages, car les sorts les plus complexes réclament un nombre presque infini de noms (mon esprit matheux a rapproché cela de la classe des problèmes mathématiques NP-complets, dont on ne sait trouver la solution efficacement).
J'ai trouvé que l'enseignement de la magie pêche par ce manque d'explications, ce secret que les professeurs s'obstinent à maintenir. « Comment pourrais-je savoir des choses, quand vous ne m'enseignez rien » dit un jour Ged à son maître Ogion. Une méthode très orientale, semble-t-il, dans laquelle l'élève doit découvrir les choses par lui-même. Mais cette absence de psychologie, ce déni du besoin de connaître le caractère des élèves et d'adapter l'enseignement au cas par cas, permet aux élèves les plus talentueux et les plus orgueilleux tels que Ged de faire de graves bêtises. C'est finalement l'un des déclencheurs de conflit.

Dans ce premier tome, tout tourne autour de Ged, le jeune garçon issu du peuple et disposant d'un pouvoir latent inconcevable. Il apprend vite, plus vite que sa maturité, et son orgueil sa rivalité avec Jaspe, lui font dépasser les bornes. Oui, ce drame lui met du plomb dans la tête, mais l'oblige aussi à des voyages sans fin pour fuir ou traquer l'ombre qu'il a ramené par son sort d'invocation des morts. Finalement, cette aventure lui est bénéfique car il lui survit (pas de spoil ici, on sait dans la préface qu'il réapparait dans les tomes suivants). Il apprend qui il est vraiment en prenant conscience qu'il n'est pas que bienveillant, mais possède une part noire comme tous les être humains (George Lucas a dû lire Terremer). le Bien et le Mal en tant qu'entité intrinsèques existe sur Terremer, mais ils sont plus frappants dans leur dimension relative : le bien de l'un pouvant être le mal de l'autre.

Comme elle le dit dans sa postface, Ursula le Guin exècre les récits de combats dont la fantasy est friande. Elle prouve ici qu'on peut construire un récit intéressant sans violence, où même les combats sont dominés par les mots. Pas besoin de faire gicler le sang dans des batailles dantesques. Là aussi je crois qu'elle a fait école, bien que je n'aie pas assez lu de fantasy pour le prouver. Une façon d'écrire que je retrouve surtout chez des auteures. Je pense à Claire Duvivier et son magnifique Un long voyage. Peut-être aussi Robin Hobb ?

Ged et son ego, Ged et sa complétude, en fin de compte l'archipel sert uniquement de toile de fond et, si l'on voyage beaucoup, on ne fait qu'effleurer sa grande diversité. J'espère que les tomes suivants nous permettront d'approfondir l'univers lui-même, au-delà du mage. En tout cas, la liste de ses exploits à venir me donne envie de poursuivre l'aventure. Sera-ce extatique ou « plaisant et serein » ? L'avenir le dira.

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