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Citations sur Les soldats de la honte (16)

Il fallait être efficace, soigner le plus vite possible et ne pas craindre d'employer les méthodes les plus brutales, de recourir à la douleur, même, car les méthodes douces sont bien trop longues à remettre un homme sur pied si tant est qu'elles mènent quelque part. Quand la rentabilité prend le pas sur l'humanité, le rendement sur le dévouement, quand le médecin cesse de se penser au service des malades, alors il n'y a rien d'étonnant que la médecine devienne une sorte de machine sans âme ni conscience et glisse vers la violence pour répondre à la souffrance.
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Avec les muets, Babinski procède de la même façon, électrisant le fond de leur gorge, une opération peu agréable qui leur fait pousser quelques plaintes. Ils s’aperçoivent alors qu’ils peuvent parler et quittent bientôt leur état pithiatique. Voilà des malades faciles à soigner pour Georges Dumas qui passe systématiquement les muets à l’électricité. Après qu’il a poussé un « Ah ! », cri de douleur et de surprise », le sujet est invité à prononcer les autres voyelles, puis des mots et enfin des phrases. Au besoin, le médecin appuie ses ordres avec force : « Tu viens de dire : Ah ! Dis : E, tu le peux. Allons, dépêche-toi, tu ne fais pas ce que tu peux. Dis : I, nom de D… ! »
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Il faut bien venir en aide aux malheureux poilus et soigner les malades du mieux que l'on peut. Deux méthodes s'imposent alors qui reflètent l'ambiguïté du corps médical face à la guerre, entre secours à l'humanité en souffrance et exigence patriotique de la guérison la plus prompte pour renvoyer des soldats au front. Au service des hommes, les spécialistes préconisent la méthode douce, le repos, la balnéothérapie, l'héliotherapie, les massages, la nourriture abondante. Au service de la patrie, ne voyant dans les malades que des soldats défaillants que l'on doit rapidement remettre sur pied au nom de la défense nationale, ils utilisent des méthodes dites «brusquées», consistant essentiellement en traitement électrique plus ou moins agressif. La douleur, pour ne pas dire la torture électrique, devient alors un élément thérapeutique de premier ordre qui, en faisant mal au patient, l'amène à quitter son état hystérique, sorte de nid douillet où le soldat s'est réfugié pour quitter la réalité trop déprimante des tranchées. Le médecin aide-major André Gilles, qui l'emploie sur ses malades, ne voit pas le problème et nie même la question de la douleur: «Pour pénible qu'elle soit, elle est très supportable» Ceux qui oseraient refuser un tel traitement que l'on baptise du doux nom de «torpillage» sont aussitôt perçus comme des suspects, du gibier de conseil de guerre...
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Loin de traumatiser les poilus, la guerre a constitué au contraire une merveilleuse épreuve régénératrice et hygiénique, qui, la vie au grand air aidant, a contribué à viriliser la bonne vieille race française. « Il est remarquable de voir plus sains, plus vigoureux que jamais des hommes qui depuis des mois, n’ont couché que sur le sol ou sur la paille et cela devant l’ennemi. […] Nos hommes ont perdu des tissus inutiles au profit de leurs muscles progressivement plus développés. […] »

Débitant les mêmes âneries sur la « tranchée hygiénique », caractéristiques d’un discours de l’arrière ignorant des terribles réalités du front, un médecin soutient dans La Lanterne que la guerre rend plus fort : « Tous les jours, nous notons des exemples de soldats qui avant d’être appelés souffraient d’affections diverses empoisonnant leur existence et auxquelles aujourd’hui ils ne songent plus. […] ; des anémiés privés de leur habituel fortifiant se portent à merveille ; les obèses retrouvent leur souplesse, et des gens malingres acquièrent des muscles et des couleurs. . » Vive la guerre ! « Plus d’un soldat la regrettera », lance Gustave Le Bon, à demi hystérique, du fond de son fauteuil. 
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... la majorité des médecins chargés de traiter les affections des combattants voient dans ces hystériques de simples prédisposés, des alcooliques, des syphilitiques ou des sujets à l'hérédité chargée, en un mot des faibles qui seraient de toute façon tombés malades dans la vie civile. La guerre, que l'on présente comme régénératrice dans les premiers mois du conflit, n'y est donc pour rien. Pire, les praticiens se méfient de ces hommes traumatisés et se demandent s'ils ne sont pas des simulateurs, des petits malins qui jouent la comédie pour s'embusquer dans un hôpital, le plus loin possible du front. En l'absence de blessure, comment être certain que le soldat est bien un malade et non un mauvais sujet? Comment s'assurer, en admettant qu'il ne mente pas et qu'il ait réellement perdu la raison quelques instants, qu'il ne se complaît pas dans l'exagération du mal pour profiter d'une généreuse évacuation ?
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« Au soldat des tranchées qui venait à moi avec un pied gelé me demandant à être évacué, je répondais : Non, je n’évacue pas pour si peu de chose. Ici il faut avoir les deux pieds gelés pour être évacué. Aux hommes de mon secteur qui venaient à moi souffrant d’une entérite aiguë, affaiblis, délabrés, et qui pour ne pas crever sur place demandaient à être évacués, je répondais : Non. Ici l’on n’évacue que lorsqu’on fait du sang. » 
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Tous les coups sont donc permis pour abaisser l’ennemi et le discréditer, à l’instar du Dr Bérillon qui voit dans l’Allemand le maillon manquant entre l’homme et le putois. Dans une communication présentée à l’Académie de médecine, le 29 juin 1915, ce médicastre en folie expose sa théorie de la « bromidrose fétide » par laquelle les sujets de Guillaume II sont censés suer et puer, sentir des pieds et des aisselles, exhaler une haleine de bouc et laisser flotter derrière eux un fumet peu ragoûtant ! L’explication de ce trait physique que, curieusement, personne n’avait identifié avant 1914, viendrait d’un dérèglement des sécrétions qui rapprocherait l’Allemand de certains animaux « tel que le putois […] ».

[…] Au demeurant, Bérillon a réponse à tout et, pour ne pas confondre les Alsaciens dans ses insultes, prétendra plus tard que ce peuple, germanique de sang mais français de cœur, ne partage pas le déséquilibre hormonal des Allemands. Qu’on se le dise, « l’odeur de la race allemande a toujours produit les impressions les plus désagréables sur la fonction olfactive de nos compatriotes d’Alsace-Lorraine. » 
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C’est un cimetière oublié. Près de 900 tombes à moitié écroulées sur elles-mêmes, souvent anonymes, avec, au milieu, un carré militaire et une simple plaque : « Les anciens combattants de la Gironde à leurs camarades mutilés du cerveau. » Un journaliste de L’Humanité qui, en 2005, parcourt les allées du cimetière des fous de Cadillac, remarque avec écœurement que des mâchoires, des fémurs et des éclats de crâne se mêlent au gravier et aux herbes folles. Voilà ce qui reste de ces poilus qui ne sont pas morts au front. Ce sont des morts oubliés dont personne ne se soucie. Annexé à l’asile psychiatrique de Cadillac, ce cimetière en jachère témoigne du peu de cas que l’on a fait des « blessés nerveux » et autres commotionnés de la Grande Guerre qui n’ont jamais eu droit à la reconnaissance publique parce qu’ils n’étaient pas tout à fait des blessés comme les autres.  « Honneur aux poilus, ils nous ont fait cette victoire », avait lancé Clemenceau du haut de la tribune parlementaire, le 11 novembre 1918, mais ces psycho-névrosés, avec leurs yeux hallucinés, leurs délires, leurs cauchemars et leurs cris terrifiants, ces blessés sans blessures, personne ne voulait les voir. De ces héros-là, on en avait honte. S’il était difficile de soutenir le regard des « gueules cassées », au moins le pays s’inclinait devant eux, mais les fous, les hystériques, les déments, il fallait les cacher, les dissimuler parce qu’ils renvoyaient une image terrible de la guerre en complète contradiction avec les lauriers de l’héroïsme dont la société d’après-guerre couvrait les poilus et les anciens combattants. La guerre, pourtant, il faut avoir le courage de la regarder dans les yeux.  
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Confrontés à un déferlement de troubles mentaux qu’ils ont du mal à reconnaître comme le fruit de la guerre, les médecins sont dans un premier temps interloqués et hésitent à formuler le diagnostic de l’hystérie qui, pour eux, relève avant tout de la nature féminine. Comment de valeureux soldats peuvent-ils présenter les troubles caractéristiques des constitutions débiles et efféminées ?
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Quand les obus pilonnent la position, les crises d’angoisse se multiplient et Erich Maria Remarque rapporte qu’il fallut en venir aux mains pour empêcher un soldat de sortir de l’abri : « Il n’écoute rien et donne des coups autour de lui : il bave et vocifère des paroles qui n’ont pas de sens et dont il mange la moitié. C’est une crise de cette angoisse qui naît dans les abris des tranchées ; il a l’impression d’étouffer où il est et une seule chose le préoccupe : parvenir à sortir. Si on le laissait faire, il se mettrait à courir n’importe où, sans s’abriter. Il n’est pas le premier à qui cela est arrivé. Comme il est très violent et que ses yeux chavirent, nous n’avons d’autres ressources que de l’assommer, afin qu’il devienne raisonnable. » Parce qu’ils n’ont pas eu cette présence d’esprit, des soldats français, à Verdun, voient l’un des leurs courir nu sous la mitraille, de trous d’obus en trous d’obus, en appelant sa mère. [...]
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