Deux poilus pouilleux et boueux sont dans leur tranchée."Pourvu qu'ils
tiennent!"dit l'un."Qui ça?"demande son camarade interloqué."Ceux de
l'arrière!"
Cette caricature de l'époque résume exactement l'ouvrage de J.Y.Le Naour.Fidèle à sa méthode,l'auteur évite de nous raconter
la Grande Guerre : tant d'autres l'ont fait avant lui...Il va donc décrire les Français dans la guerre,du moins ceux qui jouent un rôle.D'abord les généraux (ceux de l'arrière),perplexes devant cette guerre de positions et bien incapables de briser le front ennemi , mais qui refusent de l'avouer : Joffre ne cesse d'annoncer la victoire pour la prochaine offensive ; les Allemands se bornent à repousser les assauts suicidaires et c'est l'armée française qui est de la sorte "grignotée"en pure perte.
Puis les députés et sénateurs qui ont solennellement juré "l'Union
Sacrée"...mais c'était dans la perspective d'une guerre courte et le temps
lézarde la belle union! Ensuite le gouvernement , soucieux de ne pas
heurter le Parlement qui pourrait le renverser à tout moment et trop
pusillanime pour destituer Joffre. Enfin les diplomates qui s'efforcent
de vendre la peau de l'ours dans le secret des chancelleries parce que
ces marchandages sont inavouables...Et c'est un fameux répertoire
des occasions manquées qui vont coûter si cher et engluer un peu plus
le conflit dans "l'enlisement"dont on n'aperçoit pas la fin.
Si cette guerre n'est pas décrite,elle est par contre analysée en détail
et J.Y.Le Naour nous montre combien elle préfigure celle de 39-45 :
toutes les horreurs à venir sont esquissées dès 1915. La guerre "totale"
est déjà là,avec ses génocides,ses attaques contre les populations
civiles,ses procédés qui font fi des lois.Et si l'emploi des gaz,les
attaques sous-marines contre des paquebots ou les bombardements
n'ont produit qu'un nombre limité de victimes,c'est qu' on manquait
encore des moyens techniques nécessaires...Patience! Vingt-cinq ans
plus tard,cela sera résolu.
Si l'auteur s'enlise un peu dans le tableau des manoeuvres politiques,
la lecture demeure toutefois aisée et agréable,grâce à quelques
phrases percutantes et à un humour inoxydable,témoin cette vision des
socialistes,liés par leur serment à l'Union Sacrée,et contraignant leurs
propres pacifistes à ne plus parler de la paix...avant la fin de la guerre!