Citations sur Le formidable événement (10)
J’arriverai, pensait-il, je veux arriver. Il y a là un phénomène inouï, la création d’une terre qui va changer profondément les conditions de l’existence en cette partie du monde. Je veux être là le premier, et voir… Voir quoi ? Je ne sais pas, mais je veux.
Ma faille !… N’est-ce pas, tu en es persuadé comme moi, c’est une ramification de ma faille, finissant en cul-de-sac ? de sorte que toutes les forces éruptives, immobilisées vers cette impasse, ont rencontré un terrain propice !… de sorte que toutes ces forces… Tu saisis, n’est-ce pas ?
De nouveau, la région de pierre striée s’étendait à l’infini, peuplée des mêmes épaves, et traversée par les silhouettes errantes des pirates. Au-dessus, les nuages. De temps à autre, le ronflement d’un avion.
Mais chacun avait l’impression que quelque chose de très grand venait de s’accomplir, quelque chose de si grand que cela dépassait l’horreur des catastrophes et des deuils ; la France et l’Angleterre étaient réunies.
En vérité, il se sentait inaccessible aux fatigues habituelles. Ses muscles avaient une résistance illimitée. Ses jambes, ses bras, son torse, tout son être patiemment exercé pouvait soutenir l'effort le plus violent et le plus opiniâtre. Par ses yeux, par ses oreilles, par ses narines, il participait de la façon la plus aigüe à tous les frémissements du monde extérieur. Aucune tare. Des nerfs en équilibre. Une volonté tendue au premier choc. La faculté de se résoudre à la première alerte. Une sensibilité toujours en éveil, mais contrôlée par la raison. Une intelligence vive. Un esprit logique et clair. Il était prêt.
Alors que l’on vivait depuis quelques jours dans un monde aussi bouleversé, pouvait-il mieux faire que de se soumettre aux conseils d’un homme qu’il n’avait jamais vu, qui était Peau-Rouge, et qui s’appelait Œil-de-Lynx ?
Réfléchissez… toutes les villes du littoral sont perdues… et le commerce, la navigation.
Alors, Simon, qui avait obliqué vers la droite de la plage, constata que les falaises, en s’effondrant, avaient enseveli le rivage sous le plus gigantesque chaos que l’on pût imaginer. Les masses blanches s’entassaient les unes sur les autres comme des montagnes de craie.
Plus de moutonnements. Plus d’écume. Sous le grand linceul ondoyant, que les petites vagues aux jeux inoffensifs tendaient au-dessus du navire englouti, s’acheva le drame de cinq cents agonies.
Vision monstrueuse! À trois cents mètres en avant, comme au centre d’une cible qu’aurait visée la pointe du navire, une épouvantable gerbe avait crevé la surface de la mer et criblait le ciel de quartiers de roche, de blocs de lave et de paquets d’eau, qui retombaient dans un cercle de vagues déferlantes et de gouffres entrouverts. Et un vent de tempête tournoyait au-dessus du chaos avec des mugissements de bête.