Toujours vivantes

La réalité s'efface et son esprit s'envole au-delà de l'hôtel, de la plage, de la Crête. Des rêves de voyage. D'Asie, d'Afrique, d'Amérique. Des grands espaces. Des lacs et des montagnes, le désert, le silence. Des langues inconnues. Des saveurs et des odeurs. Pas le cocon douillet et illusoire d'un quatre-étoiles refermé sur lui-même. L'authenticité. Voilà ce qui lui manque. Sincérité. Spontanéité. Franchise. Naturel. Bienveillance. Douceur. Envie. Passion. Compassion. Honnêteté. Partage. Liberté.

Personne ne pensait se lancer à la mer dans ces cercueils flottants. Et pourtant pas un ne recule. Quand on est arrivé là, rien ne peut être pire que les épreuves déjà traversées.

Les clients pressés de massent devant les portes automatiques pour être les premiers à fouler du chariot les rayons de pâtes ou de fromage, la vie reprend ses droits pour une nouvelle journée d’achats effrénés.

Attendre et dépérir. Aucun futur possible.

Leurs regards se croisent au-dessus de la flamme, intenses. Lucia plisse les paupières en signe d'apaisement et de compréhension, ce qui trouble Aïssatou. Elles ont le même éclat au fond de l'oeil, elle y reconnaît la pulsion ardente, le combat surhumain qu'il a fallu un jour mener pour sa survie, contre soi-même, contre la souffrance de la chair et de l'âme à jamais gravée dans la mémoire, la douleur de l'emprisonnement et la sujétion imprimée au plus profond du corps.

La progression s'avère ardue, la forêt ne leur fait aucun cadeau. Écorchés par les ronces et les buissons, ils avancent à tâtons, pas à pas sur le sol glissant et le terrain accidenté, surveillant sans cesse les alentours, terrifiés à l'idée d'être poursuivis. Les minutes leur semblent des heures. La pluie s'en mêle bientôt et leurs vêtements pèsent des tonnes. Sékou gémit de souffrance, Aïssatou puise dans ses ressources les plus profondes pour l'épauler et l'obliger à marcher. C'est devenu une seconde nature pour elle, au fur et à mesure des épreuves : ne jamais regarder derrière, s'acharner, se bousculer. Rien n'a pu la mettre à terre. Meurtrie, frigorifiée, elle garde ses pensées fixées sur leur objectif. (p. 28-29)

L'immigration clandestine est un business juteux qui crée une économie parallèle et attire les mafieux comme des mouches. Le trafic de clopes, la dope, et la prostitution qui se cache à peine sous les ponts à proximité. Sans parler des détournements de fonds sur les aides gouvernementales, écrémées au passage par certains "professionnels de l'accueil" dans des sociétés à la structure opaque.

Hélène lutte contre la grande vague de tristesse qui menace de l'envahir, engloutissant presque la peur qui la paralyse. La tendresse qui existe entre ces deux là, la façon dont ils se portent l'un l'autre, formant un bloc contre l'adversité, ça la touche au plus profond. Ce qu'elle perçoit de l'amour aveugle entre Aïssatou et Sékou la bouleverse. Elle ne comprend pas leur langue mais peu importe : elle voit la confiance, le dévouement et l'abandon. [.] Ils croient dans leurs rêves, et ils croient l'un en l'autre, en leur force commune, envers et contre tous. Peu importe les horreurs auxquelles ils ont survécu, le monde a beau se dresser contre eux, ils ne voient que l'avenir, ce qui lui fait cruellement défaut. Ils ont de l'espoir.

– J’ai tellement peur. Comment tu fais pour toujours rebondir comme ça ?
-Si j’arrête, je meurs ou je vais en prison. Tu m’as dit : « Tu ne peux pas faire ça à Sékou. Pas abandonner. Jamais. »

Ils me retrouveront, ils me battront, ils me tueront...
Si tu restes, si tu plies, tu mourras, Aïssa.
Et je te rejoindrai.
Tu dois vivre. tu dois vivre libre.
Je ne tiendrai pas.
Tu es forte. Si tu meurs, on m'oubliera. Vis pour moi !
Echappe-toi d'ici.