Ce voyage-là au cœur du terrorisme, alors que j’étais flic, m’a modelé d’une façon disproportionnée et définitive. Je me suis fracassé sur l’horreur et pas la moindre aspérité ne se proposait pour que je m’y agrippe. Les gens autour de ma personne auraient dû abandonner toute hypocrisie et faire le nécessaire, mais ils ont baissé les bras. Je n’en suis pas revenu indemne alors que j’aurais pu encore sauver au moins cette façade décrépite de mon existence. J’essaye, depuis cet éclatement de ma personnalité, de faire simplement bonne figure, mais je discerne le mal partout. Je ne peux rien apporter de nouveau à cela.
Les gens sont différents, mais les émotions restent les mêmes.
Tu sais, voir en permanence la misère humaine collée à l’ordinateur comme s’il s’agissait de vulgaires mouches sur un pare-chocs n’est pas réjouissant. Alors, je veux bien appeler David. Je veux bien poser un visage sur ton type... euh, Deboschères, mais ensuite, je prends le large. Pas longtemps. Juste une semaine au vert. C’est tout ce que je te demande. Et puis, il y a autre chose.
Mais tout a une fin ! Briet m’attend depuis un bon moment. Vous savez, la jolie blonde venue du nord. D’ordinaire, elle rentre chez elle vers 18 heures, une fois les dossiers empilés et rangés. Aujourd’hui, elle ne peut pas. Elle n’a aucune envie de se retrouver seule dans les rues sombres de la capitale méditerranéenne puis devant je ne sais quelle émission télévisuelle. Elle pourrait voir ailleurs. Draguer. Elle n’aurait aucun souci pour une aventure, qu’elle soit masculine ou féminine. Au diable les barrières !
Comme son nom le souligne, elle ne ressemble en rien à Blanche-Neige. Elle porte une coiffure afro-dreadlock mal entretenue en raison des circonstances, une peau métissée et lisse couleur café au lait, des lèvres rouges tumescentes et de très beaux yeux en amande charbonneux. Quant au corps, on le devine attirant sous les oripeaux trop amples dont elle est accoutrée. Une belle fille que la folie a émancipée.
Le spectre ne s’accommode pas de rester seul. Généreux, il veut jouir autant de la souffrance de la femme, orbites révulsées, que de l’incompréhension de Leroy. Il représente le mal. La punition. Forme floue, il tourne autour d’elle. Se rapproche et sent l’odeur acide de la terreur à travers le masque. Satisfait, il s’écarte et retourne au chevet du condamné.
Elle ne peut pas oublier. Comment le pourrait-elle ? Le retour à la réalité, d’abord, et la douleur due aux écarteurs de paupières, ensuite, tandis qu’elle essaye de fermer les yeux pour s’accommoder à la lumière brusquement plus présente.