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Citations sur À l'heure où parle la rose (1)

"Marianne,

Sept années se sont écoulées depuis ton départ et je n’ai pensé qu’à mon malheur, ma femme m’avait abandonné, rien d’autre ne comptait. Tu avais aimé un inconnu, remplacé notre Lumiès par le grand Paris. Tu avais même osé donner un frère et une sœur à Rose. Elle était alors mon éternité, mon bonheur indestructible. Je ne l’ai pas réalisé. Et c’est sous mes yeux qu’on nous l’a enlevée. Rose, ses douze printemps, ses rires et ses espoirs. Kidnappée pendant l’orage. Je n’ai rien entendu, rien vu. Seulement quelques pétales de coquelicots évadés de la tornade, flottant au-dessus des blés. Tellement rouges. Mon Dieu, Marianne ! Ces coquelicots harcèlent mes nuits devenues pourpres depuis des semaines que nous la cherchons.

Hier, tu as regagné Paris. Longtemps j’ai regardé la route, longtemps, j’ai vu ton regard derrière la vitre. Figé sur le néant. Une biche blessée à mort fixant l’assassin de son petit. Il fallait que tu repartes, nous avons retourné Lumiès, Rose n’y est peut-être plus. Ne reviens pas. Je ne veux pas que tu entendes les gémissements de ton jardin, le claquement des volets dans le vide, le silence s’engouffrer dans les couloirs de ton enfance et tournoyer sans fin.

Demain, je quitterai à mon tour notre terre d’origine. Je n’ai plus de famille, je deviendrai notre recherche, je te l’ai promis, je la retrouverai. Ces courriers que je n’aurai de cesse de t’écrire seront autant de cailloux que je ne sèmerai pas et dont la chaleur grandissante accompagnera ma quête, comme les dessins de Rose, ses photos, que j’ai enlevés des murs. Maintenant je dois abandonner cette prison lacérée, défaite de sa mémoire, ces pauvres cloisons emplies de blancs interrogateurs. Suivre les pistes soulevées par la police, tout reprendre à zéro. Mon sac est prêt, mon itinéraire également. Mais avant, il va falloir s’allonger, tenter de dormir. Dès que je ferme les yeux, reviennent les ailes pourpres de la tempête, ses derniers mots, les miens, encore et encore…

La dernière fois – on en a parlé et reparlé depuis sa disparition –, elle avait déposé un baiser sur ma joue, enfilé à la hâte sa petite parka blanche avant de s’enfuir en courant. J’avais juste dit : « Rose, l’orage arrive ! Dépêche-toi, d’accord ? » « Oui, mais chut, tu m’empêches de les entendre », m’avait-elle répondu en riant. Chaque temps de printemps à Lumiès se passait au milieu des champs, dans un mystérieux dialogue avec les coquelicots, tu le sais d’ailleurs. Tu étais loin avec ta nouvelle famille, tes deux petits, mais pour que Rose et moi gardions ce lien précieux, tu me la confiais le plus souvent possible. Je vous ai trahies… Ce jour-là, j’ai rejoint mon établi. Sans hésiter. J’aurais pu m’asseoir, la regarder, courir avec elle, comme tu aurais fait certainement.

Lorsque le ciel s’est empli de sombres gouttes, je suis sorti de la maison. Le champ était désert, Rose avait disparu. Le vent sifflait, avalait mes cris, ralentissait ma course. Une masse nuageuse opaque dévorait, inexorable, la lumière suspendue au-dessus des plantes. Ces nuages, Marianne, chaque nuit, chaque jour, chaque heure, je me noie dans leur obscurité suffocante.

J’ai hurlé : « Rose, Rose… ! »

Autour de moi, les longues tiges phosphorescentes dévalaient la colline comme une écume déchaînée. Des pétales rouges parsemaient le ciel noir de taches papillonnantes. Obsédantes.

J’ai hurlé. Encore et encore."
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