D'après Descartes, la peur est une des passions issues de l'union du corps et de l'âme. Ayant presque cent ans de plus que lui et pas mal de lectures supplémentaires à mon actif, je ne suis pas sûre d'adhérer à cette théorie car, en l'occurrence, tous mes symptômes sont purement physiques. J'ai la tête qui tourne.Mes muscles raidis se mettent à trembler. La sueur ruisselle de mes aisselles. Et si je ne suis pas déjà à terre, c'est uniquement grâce à cette analyse rationnelle de mon ressenti.
Non, ce n'est pas ce que je souhaitais. Mais peu importe. Ce n'est pas un échec que de réajuster ses voiles pour s'adapter aux eaux dans lesquelles on se trouve. C'est un changement de cap. Un nouveau départ.
- Il préfère perpétuer la grande tradition des femmes qui réparent les pots cassés par les hommes.
- L'histoire de l'humanité.
- Il faut que tu apprennes à être plus lucide sur ceux qui veulent mettre le grappin sur ton petit cerveau de génie.
- Je ne suis pas un génie, dis-je en ronchonnant plus fort que voulu.
Elle pince les lèvres en fredonnant doucement.
- C'est vrai, génie est un mot assez fort. Mais tu sembles très intelligente. Ou, tout au moins, sûre de toi. Et souvent les gens ne savent pas distinguer ces deux attributs l'un de l'autre.
(...) Que ce soit moi ou une autre, tu n'admettais pas qu'on puisse aimer les livres et les belles toilettes. Les grands espaces naturelles et les cosmétiques. Tu as arrêté de me prendre au sérieux dès lors que j'ai cessé de correspondre à l'image que tu te fais d'une femme forte et brillante. Tu te trompes en accusant la gent masculine : c'est toi qui te crois au-dessus de tout le monde. Tu n'est pas meilleure qu'une autre parce que tu préfères la philosophie aux bals mondains, que tu te contrefiches de la compagnie des hommes ou que tu portes des souliers de rustre et ne te boucles pas les cheveux.
(...) Durant des années j'ai eu l'impression d'être une idiote à cause de toi. Mais sache que j'aime m'habiller ainsi et j'assume !
Elle écarte les bras.
- J'aime me boucler les cheveux et les jupes qui tournent, et j'aime quand Max porte ce gros nœud rose autour du cou. Ça ne m'empêche pas pour autant d'être futée, capable et forte.
- Du jour où j'ai arrêté de courir partout dans mes jupons remontés jusqu'à la taille et commencer à profiter de la vie sociale et à me soucier de mes tenues, tu n'as eu de cesse de me le reprocher .
- Je ne t'ai jamais rien reprochée ! C'est toi qui as décidé que tu ne supportais plus d'être vue en ma compagnie car mon manque de féminité était trop embarrassant. C'est toi qui m'as abandonnée et plaquée pour des amies plus coquettes.
- Je ne t'ai jamais abandonnée, Felicity. J'ai fait le choix de me retirer de notre relation car tu estimais que mon goût pour les colliers de perle et la brillantine te rendait supérieure à moi.
- C'est faux.
- Si, c'est vrai ! Rappelle-toi le nombre de fois où tu as levé les yeux au ciel et toutes tes petites réflexions sur la stupidité des filles qui accordaient trop d'importance à leur physique. (...)
- Tu crois que débarquer sur le pas de sa porte suffira à te faire embaucher ?
- Non, je vais aller à ce mariage et l'éblouir par mon professionnalisme, et là, il m'embauchera. Et puis, dis-je consciente que ce pente-là est plus glissante, je connais Johanna Hoffman. Tu te souviens d'elle, n'est-ce pas ?
- Bien sûr que je m'en souviens. Mais j'ignorais que vous étiez en bons termes.
- Certes, nous sommes un peu brouillées.
J'ajoute un geste désinvolte pour atténuer l'ampleur de cet euphémisme.