Au printemps 1911, deux semaines après le vingt-huitième anniversaire d’Hoonie, la marieuse du village rendit visite à la femme du pêcheur.
D’autres n’avaient pas la chance d’avoir des parents si raisonnables, et comme souvent dans les pays pillés par l’ennemi ou ravagés par la nature, les plus faibles – les anciens, les veuves et les orphelins – étaient plus désespérés que jamais sur la péninsule colonisée. On faisait la queue pour un bol d’orge en échange d’une journée de travail.
La maison en bois qu’ils louaient depuis plus de trente ans n’était pas grande, à peine quarante-cinq mètres carrés. Des parois coulissantes en papier divisaient l’espace en trois pièces étroites et, pour éviter les fuites d’eau, le pêcheur avait remplacé lui-même le toit de paille humide par des tuiles d’argile rougeâtre – au bénéfice du propriétaire qui vivait dans une splendide villa de Busan. La cuisine finit par être reléguée dans le potager, pour faire de la place aux marmites de plus en plus grandes et aux tables d’appoint suspendues à des crochets sur le mur de pierre couvert de mortier.
En 1910, Hoonie avait vingt-sept ans quand le Japon annexa la Corée. Le pêcheur et sa femme, qui étaient des gens simples, refusaient de se laisser distraire par l’incompétence des aristocrates et des dirigeants corrompus qui avaient abandonné leur patrie aux mains de voleurs. Quand le loyer de leur maison augmenta, le couple libéra la chambre et s’installa dans le vestibule près de la cuisine afin d’accueillir plus de pensionnaires.
Seeds, blood. How could you fight such hopeless ideas?
Son père, Hoonie, était fou d’elle depuis sa naissance,
et même enfant, Sunja n’avait en tête que de le rendre
heureux.
- Souviens-toi : ceux qui paient la taxe de merde sont surtout les gens nés au mauvais endroit au mauvais moment, qui s'accrochent comme ils peuvent à cette planète du bout de leurs ongles rongés. Tu ne peux pas leur en vouloir d'être des ratés. Pour ces bouseux, la vie se résume à se faire enculer encore et encore.
- Tous les jours, pour chaque bateau rempli d'imbéciles qui rêvent de rentrer à la maison, il revient deux bateaux de réfugiés qui n'ont rien trouvé à manger là-bas. Les bougres qui viennent directement de Corée sont encore plus désespérés que toi. Ils travailleraient pour la promesse de pain rassis. Les femmes se prostituent au bout de deux jours de famine, un seul si elles ont des enfants à nourrir. Tu vis pour le fantasme d'une patrie qui n'existe plus.
Cette ville est faite de bois et de papier. Il ne faudrait pas plus d'une allumette pour la réduire en cendres. Alors imagine ce qui pourrait arriver avec une bombe américaine.
La chance seule m'a fait naître homme, me conférant ainsi le droit d'inscrire mes descendants au registre familial.