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Critique de Nicolas9


Un dimanche après-midi de juin, Laurie Lee, quitte le cottage familial en emportant son violon, une couverture et quelques vêtements. Direction la côte sud et ses villégiatures victoriennes.

Mais au fait, pourquoi quitter une famille de la classe moyenne et une mère aimante quand on a 19 ans ? L'auteur évite d'en parler et avance plutôt le goût de l'aventure et l'envie exacerbée d'échapper à un destin tracé d'avance...

Musicien de rue menacé d'indigence, il parvient finalement au bord de l'Atlantique, mais s'y ennuie assez vite. Cap sur Londres où il espère se reposer dans la maison d'une petite amie.

Pourtant, rien ne se passera comme prévu et il décide de dépenser ses derniers shillings pour un aller simple en bateau vers Vigo au nord-ouest de l'Espagne. Sur place, c'est le choc, avant tout sociologique.
Le jeune Anglais se retrouve confronté d'emblée à une misère et un sous-développement économique digne de la Grande-Bretagne d'avant la révolution industrielle. Bienvenue dans un pays qui n'a semble-t-il plus évolué depuis la fin du siècle d'or (1492-1681).

« Vigo me fit l'effet d'une véritable apparition. Elle semblait surgir de la mer telle une épave dévorée par la rouille, aussi vieille et blanchie que la roche qui l'entourait. Il n'y avait ni fumées ni mouvements d'aucune sorte autour de ses maisons. On eût dit que, rongé par les bernacles (coquillage), tout mourait et pourrissait dans l'attente d'un deuxième Déluge. Des gens y dormaient étendus par terre ou en travers des portes ainsi que des cadavres que le flot aurait poussés sur la plage. »

Et c'est là, outre une indéniable qualité d'écriture, l'apport majeur de cette errance autobiographique: l'écrivain britannique y livre un portrait crû, mais empreint de bienveillance d'un pays à peine sorti du Moyen-Âge.

Or, en dormant dans les mêmes « auberges » que les Espagnols les plus humbles, en partageant avec eux le feu et le couvert, il sera mieux placé que n'importe quel journaliste pour discerner les fêlures sociales à l'origine de la terrible guerre civile qui allait ensanglanter le pays entre 1936 et 1939:
« L'Espagne était un véritable gâchis de terres qu'on négligeait, beaucoup de ces dernières appartenant à une poignée d'individus dont les vastes domaines n'avaient été qu'à peine réduits ou redistribués depuis l'époque de l'Empire romain. Il arrivait souvent qu'un fermier travaillât ces terres pour un shilling par jour et qu'après avoir sué pendant quatre mois, il crevât de faim le reste de l'année. C'était cette incongruité, et cette incongruité seulement que l'on espérait corriger (avec la victoire électorale de la gauche en 1936). »

Et, contrairement à ce que pensait l'élite occidentale de l'époque, pour le peuple espagnol dans son écrasante majorité, l'instauration du communisme n'était pas à l'ordre du jour. Les concitoyens d'Antonio Machado voulaient « juste » « assainir l'atmosphère, retrouver peut-être quelque dignité, raser au passage des montagnes d'ignorance aussi hautes que les Pyrénées », et basta.

Et Laurie Lee de poursuivre avec lyrisme : « Il faut dire qu'à cette époque-là, un instituteur espagnol en savait moins sur le monde extérieur que nombre de bergers du temps de Christophe Colomb. On osait croire que cette intolérable nuit intellectuelle allait prendre fin et que lire, écrire et parler pourraient se faire avec quelque liberté. Les hommes espéraient que leurs fils auraient la possibilité de devenir artisans au lieu d'être traités en serfs, et leurs filles citoyennes et non plus putains du foyer, que le soir enfin on pourrait entendre les enfants s'en revenir de leurs écoles neuves et étonner tout le monde avec leur savoir tout frais. »

Un amour de la terre ibérique et une empathie si puissants qu'il allait s'engager comme volontaire dans les Brigades internationales une fois celles-ci constituées. Il en parle longuement dans « Instants de guerre (1937-1938) que je me réjouis de lire à l'occasion.

Au final un récit lumineux, car dépourvu du souci de paraître et de plaire. Je le recommande à tous ceux qui ont envie de découvrir une période méconnue de l'histoire des descendants de Velasquez et Goya.
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