Bad Queen est un roman de
Magali Lefebvre qui peut se lire comme un prequel du conte de Blanche-Neige. On y suit toute la jeunesse de la future Reine-Sorcière, prénommée Violaine. Les réécritures, parce qu'elles comblent les blancs des contes, apportent de la nuance et de l'épaisseur aux personnages. C'est le cas ici avec le personnage de Violaine. Tout l'enjeu du roman est de nous faire comprendre comment elle en arrive à être le personnage que l'on connait dans le conte des frères Grimm : l'archétype de la marâtre, vaniteuse, orgueilleuse et jalouse.
Ceci,
Bad Queen le montre bien. Violaine se débat dans un monde d'hommes, avec des pouvoirs qu'il lui faut cacher. le roman met en scène cette dualité : la magie est réservée aux femmes et les rend puissantes.
Bad Queen insiste sur les stéréotypes qui contraignent toutes ces femmes, restant dans l'ombre et dominées par la violence masculine. Les aventures que Violaine vit expliquent son cheminement vers la rancune et l'aigreur, et cette métamorphose tout au long du roman est très bien réalisée.
J'ai également apprécié la fin du roman, qui nous apporte un regard différent sur les événements après Blanche-Neige. Là encore l'autrice apporte de la nuance, de la complexité et de ce fait rend le personnage de la Reine-Sorcière beaucoup moins simpliste.
Mais ce prequel m'a semblé trop brièvement relié à son conte d'origine.
En effet,
Bad Queen est un récit que Violaine fait à Blanche-Neige a posteriori des événements du conte d'origine. de ce fait, je l'ai trouvé trop long pour un récit raconté par une personne. Ainsi, je n'ai pas trop compris le choix de la 3e personne du singulier. Ca amoindrit énormément l'implication du personnage dans le récit. Les émotions ressenties par Violaine sont intermédiées, donc beaucoup moins vivaces, et on perd aussi la marque des souvenirs de la conteuse qui s'estompent. J'ai trouvé ça un peu dommage, ça annule l'effet testimonial du récit. J'aurais aimé un dialogue entre les deux, quelque chose de plus dynamique et moins linéaire.
Enfin, quand ce prequel rejoint enfin le conte d'origine, le lien est très bref, et le récit s'accélère. Dommage, c'est la partie que j'attendais le plus ! J'aurais aimé m'étendre plus longuement sur le point de vue de la Reine-Sorcière pendant les événements du conte. J'ai été un peu frustrée d'avoir passé les 4/5e du roman sur le passé de Violaine. Je me suis longtemps demandé si
Bad Queen n'était pas un roman à part. Ca n'en aurait pas fait un roman moins bon pour autant. Mais pour qui est attaché au conte, attendre aussi longtemps pour un lien finalement assez peu exploité dans la longueur est frustrant.
Finalement,
Bad queen m'a séduite pour certains aspects et mais d'autres m'ont aussi moins plu.
J'ai aimé le discours résolument centré sur les femmes et la féminité. le roman explore la féminité d'un point de vue social et sociétal. Il évoque les rapports de force entre les sexes, le positionnement de chacun et les attendus sociaux relatifs à chaque sexe. Etre une femme dans
Bad Queen répond à des exigences auxquelles il ne faut pas dévier, au risque d'être considérées comme gênantes, puissantes… donc sorcières.
Bad Queen émet l'idée que la figure de la sorcière n'est que le produit d'une société masculine et misogyne, effrayée par la perte de ses pouvoirs et de sa prédominance.
Le roman traite également de la question du corps.
Bad Queen évoque notamment le sujet de la maternité. Et c'est là le gros point fort du roman, parce que la thématique est très bien traitée, avec tact, subtilité, mais aussi douleur. C'est un roman qui est très personnel, intime. C'est douloureux mais touchant, et je n'ai nul doute que cela parlera et touchera beaucoup de femmes concernées.
Deux thématiques plutôt bien traitées, même si j'ai trouvé la première trop répétitive et trop peu nuancée sur le long terme.
Malgré toute la force de ces thématiques,
Bad Queen ne m'a pas toujours convaincue.
D'abord, parce que le roman repose, dans une grande part, sur une romance. Si je reconnais sa qualité, elle m'a cependant un peu ennuyée, je ne suis vraiment pas friande de ce genre. Je reconnais que c'est bien ficelé et que sa présence a du sens. le lien créé entre ce prequel et le conte est ainsi fort malin. Mais ça ne me réconcilie pas forcément avec ce genre.
Je dois avouer également que le discours féminin-masculin m'a un peu lassée à la longue.
Ensuite, si je reconnais la qualité d'écriture des thématiques évoquées plus haut, je dois avouer qu'elles ne m'ont pas non plus bouleversée.
Bad Queen sera une lecture très importante pour certaines, salutaire aussi, peut-être. Mais cela dépendra finalement du vécu de chacun(e).
J'ai regretté la longueur du roman. Pas en tant que telle, mais parce que le roman délaye beaucoup. J'ai lu en diagonale une bonne partie du roman, sans rien perdre du fil principal. Selon moi, c'est le dernier quart qui est vraiment intéressant, mais il est trop rapidement expédié. le reste n'est pas désagréable à lire, mais j'ai trouvé qu'il manquait de force, n'apportait pas grand-chose de décoiffant ni de nouveau. A contrario, certaines scènes auraient mérité un développement supplémentaire. C'est par exemple le cas de ces mondes alternatifs ou de la scène à coloration un peu SF du début. Des choix que je n'ai pas compris, tant rien n'est expliqué, exploré ni suffisamment développé : le worldbuilding est plus que léger et c'est dommage.
Enfin, j'ai trouvé que le sujet au coeur du roman prenait trop de place dans le roman, au détriment du reste.
Ceci dit, c'est peut-être aussi l'effet recherché : c'est exactement ce que ressent Violaine à un moment, étouffée par ses pensées qui tournent sans arrêt dans le même sens et obnubilée par ce qu'elle vit. Mais je n'ai pas ressenti non plus cette pesanteur dans les mots ni le style. Peut-être parce que le récit n'était pas au « je ». Mais peut-être que cela aussi s'explique, comme une manière pour l'autrice de prendre de la distance, de se protéger de ces émotions dévastatrices.
Certes, je n'ai pas retrouvé ici la plume de l'autrice qui s'amuse des mots et des codes du genre. Mais parfois, les mots ont un rôle bien plus important : celui de guérir des blessures encore vives. Car il y a un temps pour s'amuser, et il y a un temps pour apaiser sa peine. C'est bien ce que j'ai ressenti en lisant
Bad Queen : une grande peine sur laquelle les mots agissaient comme autant de petits pansements. Et c'est peut-être cela, le pouvoir le plus fort des mots.
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