Tu criais aussi quand il y avait de la fumée sur ton assiette de soupe. C’était si intolérable que, pendant des mois, je t’ai donné à manger froid. Difficile pour les autres, les spectateurs, de comprendre que tu criais de souffrance et non de colère comme devant mes souliers dépareillés. J’ai moi-même mis du temps à déceler cette souffrance, puis à l’accepter. Tu ne supportes pas que les objets puissent changer de place. LA chose infiniment petite que personne n’a jamais vue, toi tu l’as remarquée. Elle est devenue un de tes points de repère. Si on y touche, ton monde s’écroule en partie. Les autres, ceux que j’appelle les autres, ne comprennent rien à cela.
Je ne comprendrai jamais cette attitude de kangourou tragique que prennent certains hommes – je n’ai pas dit tous – devant un réfrigérateur plein. Même les plus intelligents ont un air buté, outragé et préfèrent ne rien manger plutôt que d’avoir à se servir seuls.
M'occuper de toi m'a modifiée profondément. j'ai l'impression d'avoir été incarcérée. Quelque chose du bagne. De l'hôpital. De la vie forcée, réduite, entre un lit, un lavabo. Mais c'est toujours dans la réduction de moi-même que j'ai trouvé la force décrire.
Je me sens réconfortée par cet amour qui me porte et m'inquiète et pourtant m'ensevelit.
Vivre avec toi, lutter contre cette maladie, c'est renoncer à tout. Tu comprends. A TOUT. L'amour. La poésie. Le désir. Le calme.
Derrière le pare-brise, le réconfort léger des premiers rayons d'un soleil de mars. Je prie, je supplie mes forces vitales de ne pas me quitter. Mais où est la vraie vie ?
Alors, pour en finir, pour que me quitte ce désir, il m'est arrivé de souhaiter me métamorphoser en une lande desséchée où personne ne viendrait. En statue de marbre oubliée dans les caves d'un musée.
Tu as raison de te défendre. Tu as raison de t’imposer. Flanque-leur ta différence en pleine gueule. Si quelqu’un a le droit de s’énerver contre toi ici, c’est moi ? Car moi, ta différence, je l’encaisse, jour et nuit.
Il y a tant de retrait, d’enfermement dans l’acte d’écrire que c’est étrange d’imaginer toutes ces pages ayant leur propre vie. Infusant à d’autres êtres une force bénéfique, alors que pour les écrire on s’est privé de tout.
"L'amour maternel est le moins mièvre des sentiments."