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Critique de Erik35


Erik35
21 septembre 2017
AVANT QUE VIENNE RENAISSANCE.

Nous sommes en Royaume de Cocaigne, autrement dit dans le le légendaire Pays de Cocagne, une terre qui regorge des bienfaits de la nature : des champs bien fertiles et prolifiques, des bêtes d'élevage bien grasses et qui se gardent toutes seules, des campagnes verdoyantes, un peuple heureux gouverné par un homme bon, généreux, aimant et aimé, le roi Féric, digne héritier du fondateur de la dynastie, son aïeul Herne (qui, selon une tradition britannique était un immense chasseur, émanation indirecte du Dieu-Cerf des celtes, Cernunnos). Mais le frère cadet du Roi, Jean le Nécromant, ne le voit pas de cet oeil là et, tout dévoué au mal, à la destruction qu'il est, sa haine pour la vie n'a d'égale que son désir de prendre la place de son aîné sur le trône...

En quelques mots, vous l'aurez compris, cet album nage en pleine fantasy, avec tous ses codes, ses références obligées (un royaume, la magie, les antiquailleries celtisantes, l'affrontement bien/mal, les traditions séculaires, etc), ses poncifs, même. On y retrouve, parmi ces sept mages appelés à la rescousse afin de savoir ce que sont ces étranges bêtes (un corps de gorille, des têtes de babouins de Mandrill, des avant-bras aux mains crochues et recouvert d'écailles) stupides mais surpuissantes faite prisonnières par le capitaine des gardes :

- Un certain Gargan (avatar de Gargantua), parfait homme vert (être totalement dédié à la nature et que l'on retrouve dans un nombre considérable de traditions parfois sans rapport les unes avec les autres), colosse débonnaire mais irascible et d'une force proprement herculéenne (un genre de "Hulk" avant l'heure...)

- Trois soeurs, vieilles, immémoriales même, surgissant lorsqu'un Roi en demande l'aide, de leurs antres. trois fées élémentaires surgissant de l'eau des rivières pour Vive, du vent et de l'air pour Brise, de l'humus d'un sous-bois pour Ponce. Manque le feu. Mystère...

- Une enchanteresse, Anna, la propre fille du Roi... Dont on peut dores et déjà dire qu'on ne la verra pas trop à l'oeuvre, sinon comme attrape-coeur pour futur époux. Qu'elle est forcément belle, et douce, et bonne. Que les âmes et les sentiments des autres n'ont nul secret pour elle. C'est sympathique, c'est certainement très "girly", mais pour sauver un royaume de la proie des flammes et du sang, ça embarque un peu léger.

Jusque-là, rien que du très (trop ?) classique. C'est pour les deux derniers mages que cela se "complique" un peu, qu'un brin d'originalité intervient dans ce sage parcours en fantasy.

- Notre sixième mage arrive en directe lignée des Dieux de l'antiquité grecque. Lumen est son nom, et s'il ressemble à une sorte de superman ayant avalé une représentation physique de Zeus, il en est aussi une émanation directe. D'ailleurs, son arme majeure est la lumière quand son mode de déplacement préféré est le vol sans voile. le personnage est orgueilleux, un rien grandiloquent mais sans vice ni méchanceté. Et il respecte les lois antiques du mystère, du divin et de l'ésotérisme.

- L'ultime mage n'en est en réalité pas un. C'est en tout cas lui qui l'affirme. Il se fait appeler le Disciple (ça claque, tout en donnant dans la plus soucieuse des modestie, n'est-ce pas ?). En vérité, c'est un pur cérébral, un raisonneur, qui ne croit ni en Dieu ni en diable (même lorsqu'il se retrouve en compagnie des autres), disciple du poète et philosophe latin Lucrèce, lui-même disciple du grand Épicure - c'est d'ailleurs par cet intercesseur qu'on en sait le plus sur le philosophe du jardin, fondateur d'un épicurisme bien éloigné de ce qu'en fit plus tard l'Eglise -. C'est donc un matérialiste, qui croit aux atomes, au doute raisonnable (anticipons un peu sur René Descartes), à la réflexion.

Des morts - y compris royales -, des vols d'objets symboliques, des drames, des massacres, des assauts, des prises de villages, de la magie... Rien ne manque à cet album de Serge Lehman et d'Emmanuel Roudier. Pas même l'espèce d'énigme/réflexion pseudo philosophique de l'ancêtre Herne, personnage fantomatique et visiblement immortel qui parcours de sa présence éthérée l'ensemble du titre.

Ce qui sauve - n'hésitons pas à l'affirmer - cet opus sans grande saveur à force d'imitation, c'est cette confrontation entre ce monde ancien, plus ou moins idyllique, plus ou moins génésique de Cocaigne et l'émergence, encore timide, de cet homme déjà très contemporain, qui est tout à la fois le fruit encore vert de la réflexion profonde insufflée par les grands penseurs grecs et un être ambivalent ne croyant pas , pour lui - aux mythes fondateurs de nos premières civilisations tout en reconnaissant l'importance de les laisser se poursuivre dans une espèce de réalité parallèle possiblement aussi vraie que la réalité tangible. En s'écartant de lui-même d'un destin directement lié à ce monde de la fantasmagorie, à la fois il lui permet de vivre encore ses derniers feux, il en admet l'existence (par l'absurde) tout en refusant de s'y mêler, d'en être un prolongement possible, mais il attend son heure car il sait qu'elle viendra tôt où tard.

Très franchement, sans cette petite réflexion induite par le scénariste, l'ennui aurait très vite pu gagner le lecteur, sauf à n'apprécier que les redites et le déjà-vu. Un album décevant dans lequel les personnages tout imaginaires fussent-ils ne parviennent - format oblige - qu'à être des caricatures d'eux-mêmes, sans grande consistance, sans subtilité, sans qu'on ait le temps de s'y attacher moindrement. Même le dessin, qui est pourtant bon, est tellement classique que cela en deviendrait pénible.

Seconde incursion de la série des Sept dans l'univers médiéval fantastique (Le génial Sept missionnaire est décidément trop éloigné des codes du genre pour l'y compter), ce Sept Mages avait très certainement beaucoup plus d'intentions que le précédent, le si plaisant et volubile Sept Voleurs de David Chauvel accompagné du dessin mirifique de Jérôme Lereculey, mais c'est malheureusement un coup d'épée dans l'eau, mais alors franchement entre deux eaux ! Dommage.

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